L'Instance électorale défraie la chronique par sa gestion de la présidentielle 2024. Elle ne cesse de multiplier les polémiques semant ainsi le doute quant à l'intégrité du scrutin du 6 octobre 2024. Jamais les élections n'ont été aussi polémiques en Tunisie que l'actuelle présidentielle de 2024. L'Instance supérieure indépendante des élections (Isie) refuse les critiques et tire sur tout ce qui bouge. Au vu de la loi électorale, il est strictement interdit de mettre en doute la transparence des élections l'impartialité et l'intégrité des membres de l'Isie. Que faire quand on a un doute ? Se taire ! Et gare à celui qui rompt ce silence, il a droit à des poursuites judiciaires immédiates avec un parquet qui démarre au quart de tour. Des dizaines de personnalités politiques sont poursuivies par l'Isie et certains purgent même des peines de prison. Au meilleur des cas, l'instance envoie des avertissements, parfois par téléphone, parfois par l'envoi d'un courrier officiel ou un mail. La dernière à avoir subi les affres de l'Isie est notre consœur Khaoula Boukrim dont l'accréditation pour les élections a été retirée par sans aucune forme de procès. D'après les motifs présentés par l'instance, la journaliste n'aurait pas assuré une « couverture objective, équilibrée et neutre du processus électoral », n'aurait pas « respecté le code électoral », ni « l'éthique de sa profession ». En quoi regarde l'Isie la manière de couvrir le processus ? Elle semble avoir regard sur tout ! Est-elle qualifiée pour évaluer le professionnalisme des journalistes et leur respect de l'éthique de leur profession ? Elle s'est auto-qualifiée !
Le retrait unilatéral de l'accréditation de Mme Boukrim a été fortement dénoncé dans le milieu, mardi 20 et mercredi 21 août 2024. « Nous devons boycotter l'Isie, nous devons leur rendre leurs cartes, le SNJT doit réagir », ont crié plusieurs journalistes. Le Syndicat des journalistes (SNJT) n'a pas tardé à réagir et a publié un long communiqué dans lequel il a tiré à boulets rouges sur l'Isie. Le syndicat a considéré que cette décision comportait plusieurs atteintes à la loi et a considéré que l'instance n'était pas compétente pour se prononcer au sujet du professionnalisme de la journaliste concernée et de son respect de l'éthique journalistique. Le SNJT a, aussi, considéré que l'Isie devait émettre un avertissement avant de prononcer directement la sanction maximale. Il a dénoncé et rejeté la décision de l'Isie la qualifiant de mesure subjective s'inscrivant dans le cadre d'un règlement de comptes avec une voix critiquant son travail.
À vrai dire, l'Isie n'a pas défrayé la chronique avec la question de la journaliste. Elle a été au centre de plusieurs polémiques les trois derniers jours. Ses intimidations de recourir à la justice, à chaque fois que quelqu'un la critique, ne semblent pas avoir été efficaces. Elle a pu faire taire quelques-uns, mais il lui était impossible de faire taire tout le monde. Les réseaux sociaux sont en effervescence et dénoncent son comportement. Idem pour les journalistes dans les salles de rédaction où censure, auto-censure et rage au ventre sont devenues monnaie quotidienne. Le décret 54 liberticide et la loi électorale empêchent les médias de faire correctement leur travail pour dire ce qui ne va pas vraiment dans ces élections. Que l'Isie le veuille ou pas, la Tunisie est en période électorale et il est tout à fait naturel que les personnes s'intéressant à leur pays et à la chose publique parlent des élections et de ce qui ne va pas. Qu'elle le veuille ou pas, l'Isie se trouve au centre. Pour ces trois derniers jours, et outre le retrait abusif de la carte d'accréditation de la journaliste, l'Isie a publié les motifs officiels des refus des dossiers des candidats à la présidentielle. Ces derniers ont été nombreux à dénoncer d'hypothétiques abus de l'instance. La justice administrative tranchera, quoique celle-ci a déjà tranché en faveur de l'Isie en première instance. Mais au-delà des questions techniques juridiques, du fond et de la forme, il y a certains motifs qui semblent futiles et reflètent une Isie qui cherche vraiment la petite bête pour écarter les dossiers de candidats. Comme ce dossier auquel manquent deux photos d'identité ! Ou encore ce dossier refusé car le document numérique était en format PDF et non en format Word. À se demander si Microsoft a un contrat d'exclusivité avec l'Isie pour que cette dernière ne travaille qu'avec ses coûteux logiciels. Ou encore ce complément de dossier déposé hors-délai, d'après l'Isie, et dans les délais d'après l'équipe juridique du candidat. Autre polémique déclenchée ces deux derniers jours, cette plainte fallacieuse subie par l'ONG I Watch. Cette dernière a dressé un bilan chiffré du mandat de Kaïs Saïed. L'Isie a considéré ce bilan comme étant un sondage et a déposé plainte, puisque la publication des sondages est interdite en période électorale (une spécificité tunisienne). Bien que la plainte soit grossière et il est évident que le rapport de l'ONG ne ressemble aucunement à un sondage, le parquet a donné suite en un temps record et a chargé une brigade judiciaire d'instruire l'affaire. C'est dire la puissance de l'Isie.
Au-delà du côté risible de certains motifs invoqués par l'instance pour rejeter les candidatures des prétendants à la présidentielle, et nonobstant la rapidité de l'instance à sanctionner les uns et à déposer plainte en justice contre les autres, il y a dans son comportement un aspect nuisible à l'ambiance des élections. Théoriquement, une élection est une fête démocratique. L'Isie la transforme en cauchemar. En s'en prenant aux médias, aux politiciens, aux ONG et aux observateurs, elle s'isole totalement et donne l'impression qu'elle fait ces élections uniquement pour le pouvoir en place et non pour l'ensemble des Tunisiens. Ne retenant pas la leçon des deux derniers scrutins, avec des taux de participation de 11%, elle fait l'exact contraire de ce qu'il faut pour promouvoir les élections, motiver les journalistes et encourager ensuite les citoyens à aller au vote. L'instance peut bien interdire aux différents acteurs de dire et d'écrire que les élections ne sont pas intègres, mais elle ne peut en aucun cas leur interdire de le penser. Or dès lors que les gens pensent que le processus n'est pas intègre et que les dés sont pipés, ils vont boycotter les élections, comme ils l'ont fait aux deux derniers scrutins, ou aller aux urnes pour un vote-sanction contre Kaïs Saïed. Est-ce cela l'objectif de l'Isie ? On en doute ! Qui a intérêt à ce que l'ambiance de la période électorale soit malsaine ? Personne ! Qui a intérêt à ce qu'il y ait la moindre suspicion dans le travail de l'Isie ? Absolument personne ! Or, à ce jour, ce n'est pas ce que l'on voit. L'instance électorale est en train d'offrir le(s) bâton(s) pour se faire battre. Elle crée des polémiques inutiles, Elle s'arrête sur des détails futiles, elle jette le doute sur le processus et fait tout le contraire de ce qu'une instance nationale et supérieure devrait faire. Le pays, les Tunisiens et nos élections n'ont pas besoin de ce type de comportement. Ils ont besoin d'une instance rassurante, ouverte et fédératrice, au-dessus de la mêlée, transparente et intègre.