Le 29 décembre dernier, l'Afrique du Sud a intenté une action en justice contre Israël auprès de la Cour internationale de Justice (CIJ), pour motif de violation de la Convention des Nations unies de 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide. Pretoria demande également une injonction visant à suspendre immédiatement l'offensive militaire israélienne à Gaza. À l'approche des audiences (jeudi 11 et vendredi 12 janvier), les regards convergent vers La Haye et la tension monte d'un cran. Israël et son premier allié les Etats-Unis font pression pour discréditer la plainte sud-africaine. Pour les responsables sionistes, « les accusations de génocide sont totalement infondées en fait et en droit, moralement répugnantes et antisémites ». D'ailleurs, en guise de riposte, Tel-Aviv menace à son tour de porter plainte contre l'Afrique du Sud pour soutien à une organisation terroriste, le Hamas. Pour les USA, cette plainte est infondée. Le secrétaire d'Etat, Antony Blinken, actuellement en tournée, a déclaré la veille : « Washington estime que les allégations de génocide détournent l'attention du monde des efforts importants en faveur de la paix et de la sécurité ».
Alors que le Conseil de sécurité de l'ONU n'a pas joué son rôle pour la préservation de la paix, que l'Assemblée générale de l'ONU a voté deux résolutions dont l'une demandant un cessez-le-feu immédiat, rien n'a pu empêcher Israël de poursuivre le massacre contre les Palestiniens à Gaza et aussi en Cisjordanie. Les bombardements à Gaza ont causé au moins 24.000 morts et 59.000 blessés, en plus des personnes disparues sous les décombres, de la situation inhumaine due au blocus et du déplacement des populations par centaines de milliers. Aucun pays n'a trouvé à redire lorsque l'Ukraine avait déposé une plainte auprès de la Cour internationale de Justice contre la Russie dès le début de la guerre en 2022. La Haye avait alors statué et délivré une ordonnance contre Moscou. Pour les Palestiniens, la plainte sud-africaine est considérée comme un dernier recours face à la poursuite des exactions sans que les puissances occidentales ne manifestent une réelle volonté à freiner Israël. Les appels à un cessez-le-feu sont restés lettre morte. Certains pays, comme la Bolivie, ont ouvertement soutenu l'Afrique du Sud dans sa démarche. Ce n'est pas le cas de la Tunisie. Pourtant, le régime n'a eu de cesse d'affirmer sa solidarité totale à la cause des Palestiniens. Il semblerait donc que la parole soit bien présente, mais que l'action concrète manque à l'appel.
À l'approche des audiences historiques, la société civile internationale s'est mobilisée. Plus de 1000 organisation de par le monde ont signé une lettre appuyant la plainte et confirmant le caractère génocidaire de l'offensive israélienne. Ces organisations y appellent les gouvernements à déposer des déclarations d'intervention en soutien aux arguments de l'Afrique du Sud. Sauf que le monde peut se montrer frileux quand il y a Israël dans la balance. Il y a la Belgique, toutefois, qui dit envisager une autre procédure dans le sillage de celle de Pretoria.
Israël dit que cette plainte est dégoutante, les USA qu'elle est infondée. Mais que demande au juste l'Afrique du Sud pour susciter de telles réactions ? Et qu'implique une condamnation de la CIJ ? Il faut comprendre que Pretoria invoque dans cette requête « ses droits et obligations » afin de prévenir le génocide et de « protéger les Palestiniens de la destruction ». Des droits et obligations qui s'exercent dans le cadre de la Convention de 1948 de l'ONU sur la répression du crime de génocide. Cette convention prévoit que des Etats puissent saisir la justice pour empêcher un crime de génocide de se produire. De fait, les Etats parties de la convention sont dans l'obligation de prendre des mesures et sont considérées comme étant des normes du droit international. Et cela s'impose à tous les Etats qui ont ratifié ou non la convention dont Israël. La plainte sur le fond peut prendre du temps. L'Afrique du Sud y expose son argumentaire sur les intentions génocidaires des Israéliens en évoquant entre autres les déclarations déshumanisantes des dirigeants sionistes, allant du Président, en passant par le Premier ministre et son gouvernement jusqu'aux officiers et aux journalistes. La cour pourrait mettre du temps à statuer sur les accusations de génocide. Toutefois, la plainte est assortie d'une demande de mesures d'urgence susceptibles d'ordonner la fin des hostilités. L'Afrique du Sud y réclame aussi l'accès immédiat et sans restriction à l'aide humanitaire et que les enquêteurs de la Cour pénale internationale et les experts onusiens puissent entrer dans la bande de Gaza. Et c'est ce qui suscite la colère des Israéliens dans l'immédiat, parce que si ces mesures conservatoires sont prises par la CIJ, elles s'avèrent contraignantes juridiquement. C'est ainsi que le Conseil national de la sécurité israélien, a affirmé qu'il n'y aura pas boycott de la procédure puisque Israël est signataire de la Convention contre le génocide depuis des décennies, mais qu'ils « répondront et repousseront cette requête ridicule ». Et d'ajouter que « l'allégation infondée selon laquelle Israël n'a pas le droit de se défendre est une honte ». Et que « la bataille légale pourrait s'étendre sur plusieurs années, mais la priorité immédiate d'Israël est de contrecarrer l'ordonnance qui pourrait contraindre à un cessez-le-feu à Gaza ». Les mesures conservatoires de la CIJ sont non seulement contraignantes sur le plan légal, elles comportent aussi une forte dimension symbolique. Cependant, Israël peut bien évidemment rejeter le verdict puisqu'il relève de la responsabilité des Etats d'appliquer les décisions de la CJI. Reste le mécanisme en vigueur en cas de rejet, une demande au Conseil de sécurité de voter une résolution. Il est fort à parier que les USA opposent un veto. Mais cela revient à se discréditer parce qu'il y a aussi cette dimension symbolique et alors que les bombardements incessants contre les populations civiles se poursuivent, l'indignation de l'opinion publique mondiale ne tarit pas. C'est ce qui inquiète Israël et ses alliés. Rendez-vous les 11 et 12 janvier pour des audiences historiques.