Un désastre. Une catastrophe. Une tragédie. Les mots manquent face à ce qui se passe à Sfax. La capitale du Sud brûle. Face à la défection des autorités, à l'accumulation des déchets ménagers et la menace de la prolifération de nombreuses pathologies, certains ont opté pour la solution finale : incinérer leurs ordures. A chaque coin de rue, on croise un brasier dont l'auteur espère décimer les amas de poubelles qu'il doit enjamber matin et soir pour sortir de chez lui ou y rentrer. Quel autre choix quand les autorités préfèrent la parole à l'action… Il y a de cela quelques semaines, on pensait le problème atténué. On pensait que la solution « miracle » du département de Leila Chikhaoui durerait plus, mais elle a vite atteint ses limites. Des limites qu'on voyait déjà aux portes des déchèteries provisoires où les poubelles se sont accumulées à la vitesse de la lumière et ont fini par déborder et ensevelir de nouveau les rues de la ville. Prévisible diriez-vous ? Oui, mais le court terme l'emporte à chaque fois car stratégie, vision, anticipation nous sont, de toute apparence, étrangers. Ce n'est que quand c'est déjà trop tard que les autorités tentent, tant bien que mal, de rafistoler. A Sfax, il a fallu des coups de fouet d'odeurs pestilentielles à plein nez pour que la municipalité reprenne le travail. Ce n'est qu'à la fin de la semaine dernière que le maire, Mounir Elloumi, a décidé de mobiliser ses éboueurs pour effacer l'horreur dont l'odeur grise les Sfaxiens depuis des mois ; la chaux et les décharges provisoires du ministère de l'Environnement n'ayant pas fonctionné. Les instructions de Kaïs Saïed, non plus. Le chef de l'Etat pensait, il y a de cela un an, résoudre le problème à coups de communiqués et de remontrances pendant des rencontres avec Najla Bouden, Taoufik Charfeddine et Leila Chikhaoui, mais les plans d'action et les solutions urgentes, à court et long termes, n'ont pas dépassé le stade d'idéation et de théories débattues en cercle fermé. Aucun responsable n'a pointé le nez à Sfax, laissant le maire, seul dans la tourmente. Tous ont esquivé la puanteur d'un échec cuisant dans la gestion d'une crise des plus graves, qu'ils traînent depuis quinze mois, y compris la ministre de l'Environnement totalement disparue de la circulation.
En dépit de cet échec, Kaïs Saïed persiste dans la même démarche. Oubliant qu'« il est trop tard pour délibérer quand l'ennemi est aux portes », il a convoqué, mercredi soir, Leila Chikhaoui, pour exiger d'elle, encore une fois, des « solutions » pour se débarrasser des « mauvaises odeurs ». Cette rencontre a coïncidé avec l'incendie de la décharge du port, une nouvelle tournure dramatique dans le feuilleton de la catastrophe environnementale de Sfax. Mardi, la ville s'est réveillée pour assister à un spectacle infernal. Des pyrocumulus nauséabonds ont envahi le ciel pour ensuite s'abattre sur la ville alors que les feux consumaient les déchets dans la décharge du port. Les traînées de fumée grise ont pénétré maisons et écoles envoyant ainsi des petits enfants à l'hôpital. Trois écoliers – de l'école primaire Mohamed Bali, au centre-ville de Sfax – ont été admis, mercredi, aux urgences suite à une asphyxie. Cet incendie ne serait pas criminel. Il s'agit simplement de la conséquence naturelle du compostage des déchets. C'est ce qu'a avancé le président de la circonscription municipale de la ville de Sfax, Mounir Affes. La décharge fermée depuis plus de quinze jours, le processus de méthanisation des déchets a provoqué l'incendie. Ce malheur n'est pas sans répercussions. Il est même d'un danger extrême sur la santé des habitants de Sfax. Brûlées – de façon spontanée ou volontaire – , les poubelles libèrent des substances toxiques et cancérigènes, notamment des dioxines et des furanes dont l'inhalation est associée, entre autres, à une dégradation de l'immunité, des problèmes hépatiques, quelques types de cancers.
Du risque sur la santé des riverains, le gouverneur de Sfax, Fakher Fakhfakh, ne voit rien. « Mais ce n'est qu'un peu de fumée voyons ! ». C'est ce qu'il a indiqué, la veille, dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux après avoir appelé le président de la République à « couper Facebook ». Selon Fakhfakh, il faut faire preuve de patience et tout redeviendra comme neuf ! Le gouverneur dit avoir déployé des efforts que même le président de la République a salués. Dans la matinée de jeudi, sur Mosaïque FM, M. Fakhfakh a assuré que Kaïs Saïed l'avait contacté pour le féliciter. « Aidez-nous donc par votre silence », a-t-il dit car, à son sens, ce que nous voyons sur les réseaux sociaux et ce que les médias véhiculent n'est qu'exagération. Arrêtons-donc d'hâbler, messieurs-dames. Taisons-nous et laissons maire, gouverneur et ministres œuvrer ! Ce n'est que dans le silence que la compétence saura s'exprimer !