La crise sociale et économique que traverse actuellement la Tunisie fait la Une des tous les médias nationaux, et parfois internationaux. Outre la présentation de chiffres et de statistiques relatifs à l'inflation et au déficit budgétaire, deux autres thématiques indissociables ont fait l'objet de plusieurs analyses et interprétations. Il s'agit de la concrétisation d'un accord avec l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) qui permettrait plus tard de conclure un accord avec le Fonds monétaire international (FMI). Depuis le mois de décembre 2021, les signaux de l'absence d'une coordination et d'une bonne communication entre l'équipe de Bouden et la centrale syndicale, pour ne pas dire désaccord, commence à se dessiner aux yeux des Tunisiens. L'UGTT, d'un côté, avait insisté sur le respect des accords sociaux signés par les gouvernements précédents. Elle a considéré que l'inflation mondiale et la dégradation de la situation financière et du pouvoir d'achat des Tunisiens imposaient un "rééquilibrage des salaires". Une formulation bien choisie permettant d'éviter le recours à la fameuse expression qui fait peur à tout chef de gouvernement : une augmentation salariale. Ces revendications sont restées de simples slogans et demandes lancées en l'air ! L'UGTT a beau souligner l'importance de ces mesures mais en vain. A chaque déclaration médiatique, les dirigeants de cette organisation ont mis l'accent sur la préservation de la paix sociale, de la sécurité nationale, de la dignité des Tunisiens, du rôle de l'Etat : du contrat social liant l'un à l'autre.
De son côté, le gouvernement a opté pour une politique de fuite en avant et a fait semblant de ne pas avoir connaissance de ces demandes. On aurait même pu conclure que le gouvernement s'était imaginé à un certain moment qu'il n'y avait ni centrale syndicale ni Noureddine Taboubi. Le gouvernement est même allé jusqu'à interdire aux hauts fonctionnaires d'entamer des négociations avec l'UGTT à travers l'émission de la fameuse circulaire n°20. L'équipe de Bouden a préféré élaborer un programme de réforme de façon unilatérale, selon les déclarations des leaders du syndicat. Une version que nous ne pouvons ni confirmer ni démentir puisque le gouvernement refuse de communiquer sur ce genre de sujets. Ne se contentant pas seulement d'élaborer un programme de réformes de façon unilatérale, le gouvernement l'a soumis au FMI dans une tentative de forcer la main à la centrale syndicale, et à l'ensemble des acteurs sociaux, économiques et politiques au passage. Le contrat social liant les Tunisiens à l'Etat depuis l'indépendance ne semble pas intéresser le gouvernement Bouden. Les véritables préoccupations de la cheffe du gouvernement se limiteraient à séduire le FMI par n'importe quel moyen pourvu qu'on arrive à conclure ce maudit accord permettant de combler le déficit budgétaire ! Tout devra y passer : gel des salaires, levées des compensations, augmentation des prix du carburant, ou encore céder des entreprises publiques (qui se cache derrière l'appellation "révision des secteurs stratégique et dégagement du rôle de l'Etat).
Bien évidemment, tout au long de ces neuf derniers mois, le FMI et autres bailleurs de fonds et agences de notation ont multiplié les appels à la tenue d'un dialogue social en Tunisie. Ceci permettrait de trouver un accord entre le gouvernement et la centrale syndicale et d'avancer dans les négociations de façon à garantir l'application et la réussite du programme de réformes. Plus d'une centaine de communiqués et d'articles avaient évoqué la crise sociale et l'importance du rôle de l'UGTT. Le FMI avait publiquement et directement souligné l'importance de cette entente. Le FMI s'est même donné le droit d'appeler le gouvernement à sensibiliser le peuple quant à l'ampleur de la crise et de la nécessité de prendre des mesures drastiques. Notre gouvernement a fait semblant de ne rien comprendre et a continué dans son élan de refus de dialoguer. Considérait-il le FMI comme l'un des "Omek Sanefa" ? Serait-ce le roi des "Omek Sanefa" ? Le big boss de celles-ci ? La dégradation de la relation entre l'équipe de Bouden et la centrale syndicale est devenue préoccupante. Plusieurs experts et acteurs de la scène politique ont pointé du doigt une rupture totale entre eux. L'UGTT, par le biais de plusieurs déclarations médiatiques de ses dirigeants, a multiplié les appels au dialogue et a affirmé qu'elle était prête à entamer des négociations sociales. Le gouvernement n'a pas réagi à ces invitations jusqu'au 12 août, date à laquelle une grande partie des Tunisiens a été surprise de découvrir, d'après un communiqué de la présidence du gouvernement, la signature d'un nouveau contrat social suite à une réunion entre Najla Boudent, le président de l'Utica, Samir Majoul et le secrétaire général de l'UGTT, Noureddine Taboubi. Plusieurs sont ceux qui avaient salué la nouvelle puisqu'elle signifiait un apaisement de la situation et une réduction des tensions sociales et politiques. Malheureusement, cette joie n'a duré que quelques heures. Noureddine Taboubi s'est empressé de nier la signature d'un nouveau "contrat social". Il a considéré qu'il s'agissait d'un simple accord de principe et que les questions sociales et économiques devaient faire l'objet d'une série de réunions.
Depuis cette date-là, le gouvernement de Bouden a multiplié les échecs au niveau des négociations avec l'UGTT. Chaque annonce d'une réunion était suivie de l'échec des négociations. De plus, ces rencontres ont permis de découvrir que le gouvernement était indécis et hésitant au sujet de l'un des piliers de son programme de réformes, à savoir le gel des salaires. En effet, le gouvernement était d'accord sur le principe de procéder à des augmentations, contrairement à ce qu'il avait soumis comme proposition dans son programme de réforme faisant l'objet de négociations avec le FMI. Mais, même si le gouvernement semble d'accord sur le principe, il ne semble pas capable de clore l'affaire. L'UGTT a rejeté la proposition gouvernementale en jugeant qu'elle n'était pas acceptable. La centrale syndicale a demandé des augmentations supérieures à celles proposées par l'équipe Bouden et une mise en œuvre de cette mesure à partir de 2022 et non pas de 2023. La divergence entre les deux a été interprétée comme étant une tentative de la part du gouvernement de gagner du temps jusqu'à la conclusion d'un accord avec le FMI.
Le dernier épisode des échanges entre le gouvernement et l'UGTT, qui semblent s'être transformés en un long feuilleton mexicain complètement dépourvu d'action et trop prévisible, s'est déroulé le 12 septembre 2022. Il a, comme d'habitude, abouti à un désaccord entre la délégation gouvernementale et les représentants de la centrale syndicale. Le gouvernement multiplie les échecs tout au long de ce qu'il a appelé la conclusion d'un nouveau contrat social. Ces échecs ont, naturellement, été accompagnés de déclarations plus incompréhensibles et mystérieuses les unes que les autres. Nous pouvons citer, à titre d'exemple, la déclaration du porte-parole du gouvernement et ministre de l'Emploi, Nasreddine Nsibi qui avait affirmé l'existence d'une entente entre le gouvernement et la centrale syndicale sur plusieurs points mais un désaccord au sujet des augmentations salariales. Quels seraient, donc, les sujets faisant l'objet d'une entente entre les deux structures ? Mis à part les augmentations salariales, sur quoi portent ces réunions ? Considère-t-il que le fait de tenir une réunion représente une entente ? Le fait d'être d'accord sur le lieu et l'heure de la tenue de ces réunions serait, à lui seul, un pas en avant ? Il semblerait que le désaccord entre le gouvernement et l'UGTT représenterait l'une des rares constantes de la dynamique politique tunisienne. Le gouvernement qui cherche à réécrire l'histoire en essayant d'avancer vers ce qu'il appelle un nouveau contrat social cumule les échecs. A cette relation toxique le liant à l'UGTT s'ajoute la pénurie des produits alimentaires. Partout, dans les magasins et les grandes surfaces, on ne voit que des rayons vides et des gens cherchant du sucre, du café, du riz, de l'eau, de la farine... En plus de cela, le citoyen lambda subit continuellement les conséquences de l'inflation et de la dégradation de la valeur du dinar. Le seul contrat qui semble encore lié à ce pays n'est autre que l'incapacité à tout laisser derrière lui, certains en raison d'un fort sentiment d'appartenance, d'autres par manque de moyens.