Douze membres de la coordination des chômeurs de longue date à Kasserine ont entamé une grève de faim sauvage. Ils avaient investi, il y a deux jours, avec un groupe de chômeurs de la ville, le siège du gouvernerat. Il faut signaler que ce qui se passe à Kasserine n'est pas une exception. Dans différentes régions, beaucoup de chômeurs de longue date ont manifesté contre la position annoncée du chef de l'Etat concernant l'inapplicabilité de la loi 38-2020. Entre la crise de la déchèterie d'Agareb qui s'enlise et la énième crise du Kamour qui pointe de nouveau à l'horizon, la crise de la loi 38-2020 risque de ne pas arriver à point nommé pour le président de la République même si c'est lui qui semble sciemment choisir le moment pour remettre ce dossier à l'ordre du jour.
En recevant, vendredi, le ministre de l'Emploi, le chef de l'Etat a clairement annoncé qu'il renonçait à l'application de la loi 38-2020 car la fonction publique ne peut plus se permettre de recruter davantage de fonctionnaires et aussi parce que cette loi a été adoptée dans un contexte de calculs politiciens dont l'objectif était de vendre des chimères aux sans-travail. Pourtant, il n'a fallu que trois jours pour que le président de la République accepte de signer cette loi et de la publier dans le journal officiel. Mais en ces journées d'août de l'été 2020, le président de la République avait tout intérêt, lui aussi, à lancer une patate chaude supplémentaire entre les mains du gouvernement Mechichi. Aujourd'hui, la situation est différente. Le chef de l'Etat s'est impliqué directement dans la gestion des affaires. Les contraintes de la finance publique et les engagements extérieurs de l'Etat tunisien lui imposent plus de rationalité, plus de rigueur et c'est tant mieux.
En réalité, Kaïs Saïed n'a rien ajouté ou dit ce qui n'a pas été dit lors de la discussion de cette loi polémique et contestée dès le début par la majorité de l'opinion publique tunisienne. Les raisons de cette contestation résident dans le fait que cette loi fait de ceux qui n'ont pas réussi à trouver un emploi durant dix ans ou plus, des citoyens avantagés par rapport aux autres citoyens puisque c'est l'Etat qui se charge de leur accorder un emploi stable dans la fonction publique sans même avoir à passer des concours et justifier leur compétence. Elles résident aussi dans le fait que cette loi est anticonstitutionnelle puisqu'elle ignore totalement les dispositions de l'article 63 de la Constitution de 2014 qui stipule que les propositions de loi présentées par les députés ne peuvent être retenues si elles mettent en péril les équilibres des finances publiques. Durant des années, les Tunisiens ont contesté le fait que les enfants des cheminots, des banquiers, des mineurs ou des fonctionnaires de la Steg et de la Sonede remplacent leurs parents à leurs postes à leur départ à la retraite. On estimait que cette pratique rendait les jeunes inégaux dans leur quête de l'emploi. La loi 38-2020 est elle aussi inégalitaire puisqu'elle sape les mécanismes de la concurrence loyale entre les demandeurs d'emploi.
Pourtant, rares sont les députés qui ont voté contre cette loi. Aucun député n'a songé à contester la constitutionnalité de cette loi. Le président de la République lui-même n'a pas songé à renvoyer la loi au Parlement pour une seconde lecture. C'est dire qu'il y avait quelque chose de pourri au siège de l'ARP et dans la sphère politique tunisienne en général. En opposant son niet à l'application de la loi 38-2020, Kaïs Saïed a montré qu'il pouvait être lucide, clairvoyant, rationnel et déterminé. Du moins on l'espère à un moment où le pays a besoin d'un véritable chef pour l'Etat, non d'un candidat populiste en perpétuelle campagne électorale.