Le chef de l'Etat est très axé sur les symboles. Alors que l'Etat s'effrite, le sens des paroles du chef de l'Etat sont à lire entre les lignes. Celui dont le rôle serait purement « symbolique » de l'avis de ses opposants, fait tout pour renverser la vapeur et il mise sur les symboles pour le faire. Dans un environnement marqué par l'absence de confiance politique et le désintérêt total des aspirations du peuple, Kaïs Saïed ponctue ses discours de références populaires – n'entendez pas forcément par là populistes – à l'adresse des foules. Kaïs Saïed s'offre des bains de foule dans des quartiers populaires, bien choisis, et se proclame - pendant que la classe politique se déchire - seul serviteur des Tunisiens et seul dirigeant politique soucieux des intérêts du « petit peuple ». « L'argent est là. Eux deviennent de plus en plus riches, pendant que le peuple devient de plus en plus pauvre », a-t-il dit rien que dans son discours d'aujourd'hui. Ses discours sont ponctués de mots à grande portée symbolique comme « courage », « intégrité », « responsabilité », « dignité », « conscience », « valeurs », « libertés » ou encore « islam ». De l'autre côté, il n'hésite pas à changer de ton en évoquant les « voleurs », « menteurs », « insultes », « diffamations », « complots », « manœuvres », « explosion sociale », « marginalisation » et évoquant des chambres noires, des plans ourdis dans l'ombre et des corrompus qui tissent leurs toiles. Peu importe si ces discours et ces accusations portées en l'air sont consistants et cachent derrière eux une vérité, l'important est de marquer une dichotomie claire entre « EUX » et « MOI »
S'adressant à ses rivaux politiques, Kaïs Saïed ne lésine pas sur la forme, bourrant ses missives de messages subliminaux cachés et remplis de symboles. Références historiques, littéraires ou religieuses dans des manuscrits soigneusement écrits à la plume et donnant l'impression qu'ils renferment toute la vérité et toutes les bonnes intentions de ceux qui l'écrivent. Al Mutanabi, Abou Atahiya, Taher Ben Achour, les prophètes, des versets coraniques et des références littéraires de la Jahiliya.
Aux islamistes, il leur renvoie leur arme première, n'hésitant pas à les classer dans la case des mécréants, eux qui ont bâti leur campagne et toute popularité sur le discours religieux et leur attachement à la « religion de la majorité » et aux préceptes coraniques et charaïques. « Un vrai musulman ne ment pas, ne dénigre pas et ne diffame pas » ; « le but derrière l'islam est la droiture » ; « je jure devant Dieu » ; « Dieu seul les jugera » ; « je suis musulman et fier de ma religion et je suis attaché aux préceptes de l'islam »…
S'adressant à ceux qui prônent le respect de la loi, il ne cesse de clamer son attachement à la suprématie de la loi et à la constitution. Kaïs Saïed porte bien le costume du garant de la constitution et du garde-fou de l'application de la loi sur lequel il a fondé toute son image. Même si cela n'est pas toujours, très vrai et que parfois ce qu'il clame dépasse de loin ses prérogatives et même ses connaissances. Mais, c'est la symbolique qui compte. A ceux qui clament défendre la pensée bourguibiste, il sort le grand jeu pour commémorer le 21ème anniversaire du leader défunt. Un pied de nez à son chef de gouvernement qui est allé le visiter le 20 mars dernier lors d'une fête de l'indépendance qu'il a lui-même snobée, mais aussi à la présidente du PDL - et femme la plus populaire sur la scène politique - et qui en fait son principal fonds de commerce.
En gros, selon la symbolique de Kaïs Saïed, dans son discours et dont l'image qu'il donne à ses positions, il y a EUX et MOI. Je ne suis pas comme eux, mais je suis là pour les dénoncer et ils ne réussiront pas à me trainer avec eux dans leur camp. « Nous ne les suivrons pas dans leurs erreurs ». Kaïs Saïed cultive son côté inaccessible qui lui a décroché le sésame pour Carthage en 2019 et cultive ainsi son côté incompréhensible qui fait que les Tunisiens l'apprécient – il les fascine - sans le comprendre car il n'est pas comme les autres et qu'il n'est pas non plus comme eux.
Dans une scène politique sclérosée par la corruption, les luttes futiles, les petits calculs et la violation évidente de la loi en toute impunité, Kaïs Saïed mise sur cette symbolique pour se démarquer et faire croire qu'il crée une rupture avec cette classe politique qu'on exècre. Un fils du peuple certes – mais meilleur que le peuple car cultivé et empli de nobles valeurs – qui comprend le peuple et est là pour le servir. Est-il pour autant un homme politique brillant et maitrisant les finesses du discours politique ? On serait tenté de le croire certes, si ses positions et sa symbolique ne seraient pas – elles aussi – responsables du blocage politique actuel. Au même titre que ceux dont il essaye par tous les moyens de se démarquer…