Toutes les corporations professionnelles, ou presque, disposent d'une structure représentative unifiée même si celle-ci compte en son sein des courants différents et de sous-groupes parfois opposés, et ce dans le cadre du respect de la loi des urnes. Ceci est valable, à titre d'exemple, pour le Conseil de l'Ordre des avocats, celui des ingénieurs, des architectes, des médecins, des pharmaciens, etc. Mais ceci n'est pas valable pour le corps de la magistrature, et ce depuis l'avènement de la révolution du 14 janvier 2011. En effet, à peine deux ou trois jours après cet événement majeur, le ministre de la Justice, à l'époque, Lazhar Karoui Chebbi, avait réhabilité le Bureau directeur de l'Association des magistrats tunisiens (AMT) avec son président Ahmed Rahmouni et tous ses membres, un Bureau remplacé, en 2005, lors d'un congrès dit extraordinaire dans des conditions confuses assimilées à un véritable putsch. Ainsi, six ans après, ce Bureau s'est retrouvé comme étant l'instance chargée de défendre les intérêts des juges et de la profession. Mais ceci n'était pas du goût d'un bon nombre de juges qui ont vite fait de créer une structure parallèle surnommée, Syndicat des magistrats tunisiens (SMT), qui est parvenu à s'imposer malgré la « légitimité » de l'AMT et du courant de sympathie dont elle bénéficiait en ces premiers temps d'euphorie après la révolution. Toutefois, le même ministre, M. Karoui Chebbi, avait, proposé quelque temps après, l'organisation d'un nouveau congrès censé réunifier les magistrats au sein d'une seule structure, dans la mesure où un bureau légitime et représentatif en 2005, ne l'est pas forcément en 2011. Mais l'AMT aurait rejeté cette suggestion préférant le maintien du statu-quo. Depuis, deux femmes ont succédé à M. Rahmouni, en l'occurrence Kalthoum Kennou, puis, Raoudha Karafi alors que le SMT a été présidé, par une femme, en l'occurrence Raoudha Laâbidi avant que Fayçal Bouslimi ne lui succède en fin d'année dernière. Chose remarquable, les deux structures, théoriquement censées défendre les intérêts de la profession et des juges et, surtout, l'indépendance de la magistrature, se sont illustrées, surtout, par l'opposition de chacune d'elles aux positions prises par l'autre. Quand l'une dit « blanc », l'autre dit que c'est « noir ». Et vice-versa. Il a fallu attendre l'élaboration de ce fameux projet de loi sur le Conseil supérieur de la magistrature pour qu'il y ait, enfin, un semblant de convergences de vues dans la mesure où l'Association et le Syndicat s'accordent à dire qu'il ne répond pas aux attentes et constitue, même, « une entrave au processus d'instauration d'une justice indépendante en Tunisie ». Raoudha Karafi, présidente de l'AMT va jusqu'à considérer que la loi votée par l'Assemblée des représentants du peuple ne rompt aucunement avec l'ancien système judiciaire »avant d'ajouter que l'adoption de cette loi est « une opération de manipulation procédurale par excellence ». Pour le Syndicat et avant le démarrage des travaux de son assemblée générale, cette loi sur le CSM ne répond pas aux attentes des magistrats et comprend plusieurs lacunes au sujet de la représentation des magistrats élus et des compétences du CSM. Le Syndicat promet même d'étudier les formes d'actions de protestation à entreprendre pour exprimer son refus de cette loi. C'est dire que, pour une fois, les deux structures semblent être, relativement, en symbiose sur une question, ce qui prouve que, finalement, lorsqu'il s'agit de l'indépendance de la magistrature, tous les juges optent pour le même réflexe, en l'occurrence, la solidarité et la défense de ce concept qui constitue le pilier de toute justice basée sur l'équité, la neutralité et l'objectivité. C'est dans cet esprit que les deux organisations se sont déclarées catégoriquement opposées à toute tentative visant à compromettre l'indépendance du pouvoir judiciaire. Toujours est-il que, normalement et théoriquement, rien ne devrait justifier l'existence de deux structures pour une seule profession censée être la première à respecter les lois et du moment qu'elles ont les mêmes concepts et principes à défendre, mais selon les observateurs, les responsables des deux organisations sont mus par des divergences dues aux réminiscences du passé. En effet, une sorte de méfiance semble être de mise entre elles à cause de cette fêlure survenue en 2005 à laquelle est venue se greffer cette histoire d'étiquetage qui a classé chacune d'elles dans un bord bien déterminé alors que seules les questions d'ordre professionnel et d'éthique doivent régir les rapports entre les juges, abstraction faite de leurs convictions politiques. D'ailleurs, fait remarquable, les deux organisations n'ont jamais eu des frictions directes ou des clashes verbaux. Elles se sont toujours gardées de se ménager et d'observer une attitude digne et respectueuse, ce qui compte à leur actif. Alors pourquoi pas, un dialogue entre les deux pour rapprocher les points de vue et trouver un terrain d'entente pour le bien de la profession. Des sages de bonne volonté devraient bien tenter une telle opération de bons auspices. Ce sera, alors, le meilleur gage pour regagner la confiance des justiciables.