• “Il faut que la Constitution contienne les bases de la déclaration universelle des Droits de l'Homme” La Tunisie postrévolutionnaire, vit au rythme de la rédaction de sa Constitution à la mesure de débats de plus en plus intenses sur l'introduction de la Chariâa comme source principale de la législation. Là les femmes semblent les plus concernées et plus sensibles à la problématique posée craignant d'être atteintes dans leurs droits les plus sacrés qu'aucun pouvoir ni législation ne saurait mettre en cause. Elles étaient nombreuses, hier, à répondre à l'appel des associations « Egalité Parité » et « Tounes Aménaty », pour discuter de cette problématique. Universitaires, intellectuelles, avocates, enseignantes, cadres, représentantes de plusieurs associations, avec quelques hommes parsemés çà et là à la salle de conférences archicomble de la Bibliothèque nationale à Tunis, suivaient attentivement les débats. Est-ce que la question des droits des femmes n'intéresse que seulement les femmes, ou la société entière ? En plus des conférencières, Hajer Azaiez, membre nahdhaoui de la Constituante était de la partie. Dr. Naïla Sellini, enseignante à la Faculté des Lettres de Sousse posera carrément la question : la Chariâa est-elle la Chariâa de Dieu ou des hommes ? Pertinente réflexion qui place le débat dans son contexte. « Parler de la Chariâa doit se faire avec beaucoup de lucidité pour que le débat et le combat soient efficaces. Il faut qu'il y ait un véritable dialogue. Le problème commençait par se poser depuis une année. Au mois de Mars dernier, tout le monde célébrait la Révolution. Chacun était confiant en un avenir sûr et rassurant. Depuis quelques mois nous faisons face, chaque semaine à des problèmes d'affronts comme les appels de prédicateur tel Wajdi Ghonim, qui sont étrangers à la Chariaâ. Certaines déclarations laissent pantois, comme celle de Rached Ghannouchi affirmant que « le voile de la femme niquabée est le symbole de la Révolution ». Implicitement, cela signifie que la femme libre est le symbole de la défaite ». La conférencière ajoute qu'un des membres de la Constituante a dit que « la Chariâa sera la principale source de la Constitution ». Ils disent que la Chariâa est la parole de Dieu. Est-ce vrai ? La conférencière rappelle qu'il n'y a pas de clergé dans la religion musulmane, raison de plus pour ne pas avoir d'intermédiaire entre Dieu et le Musulman. Le Coran n'est pas un dogme renfermé La conférencière précise que si les pays du Moyen-Orient introduisent la Chariâa, les pays du Maghreb ne l'ont pas fait pour la simple raison que nous sommes des sunnites malékites. L'Arabie Saoudite dit que le Coran et la Sunna sont les sources de la législation. La conférencière relativise ses propos. L'absence du mot Chariâa des constitutions maghrébines, ne veut pas dire qu'elle n'est pas utilisée. La polygamie est pratiquée au Maroc et en Algérie. Même le Code de Staut Personnel (CSP), n'est pas loin de la Chariâa. La Chariâa est la parole de Dieu ou le résultat de l'interprétation des autres ? « S'engager avec la Chariâa c'est s'engager avec celui qui la dit et non avec Dieu », dit-elle. Sur les 6236 versets du Coran, seuls 442 légifèrent. Dans ces 442, versets, 133 concernent les relations avec les non musulmans, 94 entre musulmans. L'héritage est indiqué dans 36 versets, les relations économiques dans 4 et le Butin dans 4. Les 442 versets ne correspondent pas à 442 dispositions. Beaucoup de dispositions se trouvent évoqués d'un verset à un autre. « Il n'y a pas une seule sourate qui soit exclusive », dit-elle. Elle rappelle que « si on veut extraire la sourate de son contexte général on va déformer le sens du discours. D'ailleurs, le Coran qui maintient le pardon, n'est pas fermé. Il est ouvert à la société. Il est donc, progressif. La conférencière, rappelle à titre d'exemple que le Coran n'a jamais parlé de lapidation. Les théologiens se sont basés sur les us et coutumes pour la justifier. Peut-on utiliser les sens théologiques anciens, pour des questions modernes ? Peut-on adopter des réponses modernes pour des questions dépassées par le temps ? Elle ajoute qu'il n'y a qu'un seul verset dans le Coran où l'on se réfère à la Chariâa. Comment ce mot a été interprété ? Entre Tabari, Ibnou Zaïed, Fakhreddine Razi, Al Qortobi… les réponses divergent. Cheïkh Tahar Ben Achour l'a défini comme étant la religion et la foi. Le résultat, du point de vue politique de l'introduction de la Chariâa, est que « nous serons les esclaves de Dieu et les esclaves de ceux qui comprennent la Religion », selon Tahwani, dit-elle. Un autre problème se pose : « les 442 versets se sont transformés en 872, sept siècles plus tard ». Dr. Naïla Sellini, a posé le problème de l'adoption. Ennahdha avait dit depuis 1989 qu'elle voulait l'abolir. Elle a avancé plusieurs cas où la jurisprudence n'a pu trancher. « Il y a beaucoup de pièges dans la jurisprudence ». La démocratie, n'est pas seulement la Choura. Ahmed Amin, dit-elle, affirmait en substance que « ceux qui appellent au retour à la Chariâa, sont comme l'adulte qui se rappelant le beau costume qu'il portait dans son enfance, essaie de le remettre par force et le déchire ». Réconcilier passé et modernité Me Nedra Hadiji Belajouza dira que « nous essayons de concilier entre notre passé islamique et notre position moderne. Il y a un grand débat et combat entre deux pôles, le pôle salafiste islamique et le pôle moderniste ». Le pôle moderniste conforte les Droits de l'Homme, tels qu'ils sont énoncés et définis dans la Déclaration universelle. « Il faut que la Constitution contienne les bases de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme. Le pôle islamique considère qu'il y a dans les conventions internationales des points en conflit avec la religion. Le pôle islamique veut que la Chariâa soit le point de départ de la législation. Or le travail d'interprétation s'est arrêté depuis des siècles. Tout le monde ne saurait interpréter. Le Mouvement réformateur en Tunisie a commencé depuis Kheireddine Pacha, jusqu'à Tahar Haddad. Les islamistes considèrent que pour les droits de la femme, le CSP a donné le maximum. Le mouvement réformiste considère que c'est le minimum. La conférencière s'inquiète des déclarations de Rached Ghannouchi, sur l'adoption et les Salafistes qu'il considère comme des frères alors qu'ils veulent travestir la République en un Califat. D'autres déclarations sont aussi inquiétantes, comme celles de la ministre de la Femme qui veut « revenir sur l'abandon des réserves concernant les conventions internationales » et pense que « le mariage coutumier relève d'un choix privé et personnel »….La conférencière rejette que la Chariâa soit la source essentielle de la législation. Si on accepte cette position, toutes les lois devront corroborer les textes de la Chariâa. Les représentants du peuple devront s'y astreindre et ne seront plus libres de légiférer. Il faudra faire appel à des théologiens pour clarifier les choses. La loi ne sera plus faite par des juristes. On va chercher des Fatwas. On n'aura plus un Etat civil, mais un Etat théocratique. « Si, on introduit la Chariâa, on ne pourra plus interdire la polygamie, ni le mariage des filles mineures. dit-elle. Un consensus sera trouvé Salem Ounaies rappellera que lors de la rédaction de la Constitution de 1959, il y avait un conflit entre Zeitouniens et Sadikiens. On dirait que l'histoire se répète. Il rappelle que cette Constitution était le fruit d'une Révolution qui avait été déclenchée en 1952. « La Constitution est la locomotive qui tire la société vers l'avant. Aujourd'hui, nous sommes à un moment crucial. L'histoire ne peut pas nous pardonner de revenir en arrière ». Faïza Skandrani, déplore le peu de place accordée à la femme dans les médias. La constituante, Hajer Azeiez d'Ennahdha, membre de la Commission du préambule et des principes de la Constitution, rappelle que la femme est la moitié de la société. » Ayant, entre autres, pour charges l'éducation des enfants, elle devient toute la société ». Elle insiste sur le rôle éducatif de la mère pour inculquer le sens de l'égalité entre la fille et le garçon dès leur enfance. Concernant l'introduction de la Chariâa dans la Constitution, elle rappelle que la Constitution de 1959 était très bien élaborée. Elle pense que le Coran et la Sunna doivent être introduits comme sources de législation, tout en avouant qu'il y a plusieurs Chariâa et non une seule. Elle rassure qu'il y aura un consensus sur cette question, en optant pour les valeurs islamiques. La Chariâa peut être l'une des sources. « L'Etat civil restera », et ça sera dit dès les premiers articles de la Constitution. Des experts seront entendus par la Commission. « Nous arriverons à un consensus », dit-elle. Neïla Sellini, pense que remplacer la Chariâa par le Coran et La Sunna, va nous aligner sur l'Arabie Saoudite et le Wahabisme qui vont nous gouverner et qui n'ont rien à nous apprendre. C'est incompatible avec l'Etat civil. Le débat continue.