Par Houcine Tlili - Un très important colloque s'est tenu à la Kasbah à Tunis, à dar El Médina, les 8 et 9 octobre 2011. Le thème de ce colloque concerne « Les arts plastiques maghrébins: Art et mémoire ». L'initiative de cette rencontre revient à la fondation Kamel Lazaar pour les arts et la culture. La coordonnatrice de la rencontre, Rachida Triki, a invité à ce colloque des historiens de l'art, des esthéticiens, des artistes, des critiques, des médiateurs pour réfléchir sur les lectures du passé artistique maghrébin et sur la nécessité d'en déconstruire certaines lectures et favoriser celles qui impliquent notamment une historisation et de nouvelles grilles de lecture esthétique réduisant les approches idéologiques et suscitant d'autres qui s'appuient sur des ruptures réelles, celles qui ont émaillé les itinéraires des arts plastiques au Maghreb. L'auteur des termes de référence de ce colloque, après avoir constaté que tous les problèmes résident dans la nécessité de la mise en clarté du passé des arts plastiques au Maghreb, a invité les chercheurs à dépasser les disparités de son écriture et de son archivage. La question reste selon Rachida Triki d'accéder à une pensée esthétique et historienne de l'art du XXe siècle, plus critique mais plus constructive. Pour ce faire, un travail de recherche technique au niveau de la documentation est nécessaire pour revisiter notre mémoire, notre histoire passée et présente des mouvements artistiques à travers ses documents, ses institutions et ses différentes médiations. Ce colloque maghrébin, le premier dans son genre à notre connaissance a réellement abouti, à la réflexion sur son contenu et son itinéraire historique, à diagnostiquer la nécessité d'élaborer des études théoriques profondes de notre patrimoine plastique commun. Il a abouti également à saisir les moyens de sa promotion théorique mais également pratique, pour mieux le conserver et le mettre en valeur sous forme sociale, dans une dimension économique muséographique. Trois tables rondes ont été organisées pour traiter de la problématique soulevée: Histoire des arts plastiques au Maghreb La première table ronde a été consacrée à l'histoire des arts plastiques au Maghreb et à la nécessité d'instaurer une lecture de ses ruptures afin d'historiciser ses modes de développement. Les interventions des historiens et techniciens ont été suivies avec un grand intérêt par un public fort nombreux à cette table ronde plus particulièrement. Nadira Laggoune, professeur d'art à l'Ecole des Beaux Arts d'Alger, qui a suivi avec intérêt les voies de développement des arts plastiques algériens, a montré pourquoi il faut se réapproprier l'histoire des arts par une relecture critique. Anissa Bouayed, historienne a parlé du peintre constantinois Jean Atlan, plus connu en France, en essayant de lui prêter un rôle, peut être un peu exagéré, dans la naissance du mouvement plastique algérien. Nous-mêmes, Houcine Tlili avons essayé de proposer une lecture historiciste des ruptures opérées dans le mouvement pictural tunisien et maghrébin en esquissant une lecture dynamique de l'évolution de l'histoire des arts plastiques au Maghreb entre orientalisme et patrimoine. Farid Zahi, Historien de l'art marocain, nous a introduits à l'art Maghrébin d'une manière très brillante dans les labyrinthes de la mémoire qu'il a donné à penser comme représentification. Il a montré que le jeu de mémoire est un travail sur soi pour se réapproprier son patrimoine. Sami Ben Ameur,quant à lui, a tenté de décrire et de lire les péripéties et les ruptures du développement des arts plastiques en Tunisie à travers les activités des galeries de Tunis. Formation, médiation et promotion La deuxième table ronde a examiné les activités des institutions s'occupant de formation artistique, de médiation d'associations, de musées, de promotion des arts plastiques au Maghreb. Une intervention très remarquée a été faite par le chercheur et conservateur marocain Mohamed Rachdi qui a concrètement illustré ses contacts par la mise en valeur d'une structure muséale de mécénat. Cette structure a permis l'installation d'un musée réalisé par la Société Générale Maroc, au profit des peintres marocains. Cela nous a interpellé: pourquoi la Société Générale (UIB) en Tunisie ne nous offre pas la même solution pour les quelques centaines d'œuvres que Taoufik Torjméne a léguées à la banque? Madame Sana Tamzini, en verve comme à l'accoutumée, nous a informé de sa prise en charge de la « Maison des Arts» du Belvédère et de sa tentative de dynamiser le « Centre National d'Art Vivant» en lui insufflant le souffle de la créativité et de la générosité d'un programme poly-dimensionnel. Samir Triki, directeur de l'Institut Supérieur des Beaux Arts de Tunis nous renseigna sur le secteur de la formation artistique en Tunisie: la Tunisie possède une infrastructure de 13 instituts d'art et de 20.000 étudiants. Le problème est de définir les missions de ces structures, d'établir des programmes de formation et d'aboutir à créer des emplois pour les 20.000 étudiants. Il a aussi mis l'accent sur la nécessité de structures adéquates de recherche et de documentation en matière d'art plastique. Hamadi Chérif a relaté avec précision son itinéraire de galeriste et de promoteur du centre culturel de Djerba où il réussit à marier la promotion poly-dimensionnelle des arts (musique, peinture ... ) régionaux et internationaux. L'ouverture de Hamadi Chérif sur le marché international de l'art est intéressante et exemplaire comme l'est la pratique de Mohamed El Ayeb, à la galerie Aïn, qui nous a fait part de son riche parcours. Perspectives de développement du secteur La troisième table ronde du colloque a été consacrée aux témoignages et aux perspectives de développement du secteur des arts plastiques au Maghreb. Akila Mouhoubï a présenté son expérience d'animation dans le cadre de son association Rivages aussi bien en France qu'en Algérie, son pays d'origine, où elle s'est réinstallée. Ammar Allalouch toujours passionné, nous a livré à travers ses envolées enflammées, la nécessité de garder vivante notre mémoire des arts maghrébins dont il connait bien les acteurs. Abdelmajid Bekri, original, nous a très poétiquement exprimé son amour de l'art et de la poésie. Hamma Hannachi a raconté comment il est venu à la critique d'art qu'il pense en situation critique , actuellement. Les conclusions du colloque ont été nombreuses et très pertinentes : Une telle rencontre d'artistes, d'historiens de l'art, de théoriciens, de critiques d'art est un événement d'importance primordiale. Cet événement a permis de réunir, pour la première fois, des maghrébins autour de la question des arts plastiques. Cela annonce-t-il la constitution d'un Maghreb des arts? Sont-ce les prémisses de nouvelles rencontres, de nouvelles démarches qui reprennent d'anciens rêves et d'anciens projets? Il faudrait l'espérer et y travailler de l'intérieur avec le potentiel de chercheurs et d'acteurs culturels que nous avons dans notre Maghreb. Pourrait-on espérer, au moins au niveau de l'art et de la culture unifier nos efforts d'artistes et d'intellectuels pour lire notre passé, nous réconcilier avec notre mémoire et dire notre monde aujourd'hui avec plus de beauté, de poésie et d'humanisme. La lutte contre les idées rétrogrades du passéisme et du racisme ne pourra se réaliser qu'en élaborant une stratégie maghrébine fondée sur une affirmation du droit à la culture et à l'expression libre de nos volontés artistiques, d'exprimer le monde autrement, plus librement et plus sereinement ! Le colloque « Arts plastiques au Maghreb » a reflété tous nos espoirs de voir nos artistes s'engager à l'avant-garde de l'unité maghrébine. Les recommandations décelées dans les interventions et les discussions ont insisté sur la nécessité de résoudre les problèmes rencontrés d'une manière collective et positive. Car comment lire autrement ces recommandations sinon comme une incitation à accorder nos pas pour imposer un rythme soutenu et, au moins, amorcer des démarches unifiées des institutions semblables et aboutir à des buts communs. 1 - Ces recommandations soulignent la nécessité de promouvoir des annales communes numérisées des arts plastiques maghrébins. 2 - Les intervenants proposent également la création d'un centre maghrébin de documentation et de recherche en arts plastiques et arts de l'image. Un réseau de communication devrait être immédiatement créé. Bien sûr cette entreprise nécessite l'intervention des universités et du ministère de la Culture. Le centre de documentation serait ouvert au profit des jeunes chercheurs maghrébins et étrangers. 3 - Les interventions sont unanimes pour espérer organiser par les acteurs des trois pays une manifestation d'arts plastiques et de l'image, annuellement et alternativement dans un des pays maghrébins et étrangers.
4 - Ils proposent de participer en tant que Maghreb aux manifestations et expositions les plus avancées d'arts plastiques comme à Venise surtout, et dans d'autres manifestations de qualité dans le monde ... Ils recommandent aussi de créer dans les futures institutions muséales maghrébines, des collections d'art vouées à rassembler les œuvres d'art produites par les artistes maghrébins. 5- Ils soulignent la nécessité de créer des ponts entre les instituts de formation et de recherche maghrébins et de promouvoir des échanges entre eux grâce à des séjours d'étude et à des bourses (ateliers communs) au profit des étudiants et des enseignants d'arts plastiques, d'histoire de l'art et d'esthétique. Il serait judicieux de créer des enseignements théoriques et pratiques communs dans les instituts d'arts maghrébins. Il serait également judicieux de créer des prix intermaghrébins pour les jeunes plasticiens et pour les meilleurs critiques d'art maghrébins à distribuer lors des manifestations communes. Ce colloque visait uniquement à renforcer la présence des arts plastiques au Maghreb. Il a réussi au-delà de ce but en faisant rencontrer des artistes maghrébins et surtout à lancer un projet de regroupement de ces arts dans le sens de leur ancrage dans leur réel mais aussi dans leur expansion poly forme. La fondation Kamel Lazaar, se propose de réaliser tout ce qui est en ses possibilités de ce programme et prend très au sérieux les recommandations du colloque. L'action de la fondation serait alors de réaliser en grande partie des propositions du colloque en constituant une sorte de lobby pour parvenir à travers les actions de persuasion et quelquefois à travers des douces pressions exercées, pour arriver à atteindre des buts stratégiques favorables à la culture et à l'art au Maghreb.