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Ammar Mahjoubi: Le peuplement à la lisière méridionale du Maghreb
Publié dans Leaders le 12 - 08 - 2023

Dans le langage courant, on a pris l'habitude de distinguer approximativement une Afrique blanche qui s'étend, au nord du continent, jusqu'au Sahara, et une Afrique noire, qui commencerait au sud du désert ; mais en réalité, la distinction est moins simple et il était commode d'expliquer la complexité du peuplement, à la lisière méridionale du Maghreb, par le trafic des esclaves, déportés des siècles durant vers le nord depuis la conquête arabe. Mais même si l'importance de ce trafic est indéniable, les préhistoriens et les historiens de l'Antiquité ont montré qu'il n'avait fait que renforcer, et peut-être aussi modifier, un élément de la population que les Grecs et les Romains nommaient éthiopiens et qu'ils distinguaient des Libyco-Berbères et des plus méridionaux d'entre eux, les Gétules, dont la carnation est plus foncée.
La répartition entre les deux peuplements, libyens et éthiopiens, était et reste encore difficile. Déjà au début du Ier siècle, Strabon (XVII, 3, 23) avouait qu'il ne saurait «dire quelles sont les limites de l'Ethiopie et celles de la Libye, nous ne les connaissons pas clairement du côté de l'Egypte, encore moins du côté de l'océan.» Ilots de peuplement et enclaves fixes ou variables, au gré du nomadisme, engendraient en effet une situation inextricable. Pour l'époque punique, on ne dispose que de deux textes d'inégale portée. Frontin (Stratagèmes, I, II, 18) relate qu'à la veille de la bataille d'Himère, en 480 av. J.-C, entre l'armée carthaginoise et celle de Gelon, le tyran de Syracuse, ce dernier choisit parmi les prisonniers puniques des auxiliaires «tout à fait noirs» et les exhiba tout nus devant ses soldats, pour que le mépris de cet ennemi chassât, chez ses troupes, toute appréhension.
Il est probable que ces auxiliaires de l'armée carthaginoise provenaient de l'hinterland des villes puniques de Tripolitaine, ou de celle de la petite Syrte (le golfe de Gabès). Le second texte est celui de Diodore (XX, 57, 4-6) qui, relatant l'incursion d'Agathocle, l'autre tyran de Syracuse, dans le territoire carthaginois en 307 av. J.-C., soumit «dans les régions supérieures» de la Libye les Asphodélodes tout à fait proches des Ethiopiens par la couleur. Sans doute devaient-ils leur nom aux tiges d'asphodèles dont ils couvraient les toits de leurs habitations qui n'étaient pas éloignées de la ville de Phelliné, la cité du chêne-liège apparemment, car cet arbre est nommé Phellos en grec. On peut donc penser à une enclave de peuplement plus ou moins noir en Kroumirie, ou dans une région de la Haute Medjerda.
A l'époque romaine, les textes qui attestent la présence de populations éthiopiennes sont plus nombreux. Sur les virages de la grande Syrte (golfe de la Libye), les Nasamons, aux dires d'Hérode (II, 32) et de Claudien (Guerre contre Gildon, 192-193), avaient une carnation plus foncée que celle des Libyens, et Strabon affirmait (II, 2, 3) que parmi les populations de la Cyrénaïque, certaines avaient des cheveux crépus, des lèvres saillantes et des nez épatés, en raison de l'extrême sécheresse de cette zone climatique. Dans le Fezzan aussi, les Garamantes sont "perusti" (complètement brûlés), dit Lucain (IV, 679) et furui (sombres) confirme Arnobe (VI, 5). Ptolémée, dont le témoignage est décisif, distingue les Garamantes des diverses populations éthiopiennes, mais précise qu'ils sont "quelque peu noirs" (IV, 6, 5, p742-744) ; tandis que les prisonniers livrés aux fauves de l'amphithéâtre, représentés sur la célèbre mosaïque de Zliten, présentent une peau particulièrement foncée et ne sont pas exempts de caractères négroïdes. Mais si on considère que ces prisonniers sont des Garamantes, en raison des guerres qui les opposèrent à Rome, aucune inscription ne peut être avancée et le jaune safran de la peau des prisonniers pourrait être dû à un enduit qu'on étalait sur la peau des condamnés. De son côté, le témoignage de l'anthropologie, limité cependant à quelques squelettes, ne permet pas de trancher, mais confirme les indications de Ptolémée, qui fait des Garamantes une race intermédiaire. Le peuplement éthiopien atteignait sans doute, à l'époque romaine, le sud du territoire actuel de la Tunisie, du moins sous la forme d'îlots ; et dans la Tripolitaine intérieure, il y avait parmi les tribus de cette contrée, opposées au VIe siècle à l'armée du général byzantin Jean Troglita, des combattants d'un noir de corbeau, assure Corippus (Joh. VI, 92-95). Plus à l'ouest, Pline l'Ancien (H.N. , V, 30) assure qu'au Sud de l'Aurès et du Chott el-Hodha, c'est le Nigris (Oued Djedi), qui constituait la limite entre la province d'Afrique et l'Ethiopie. Les géographes antiques avaient formulé aussi plusieurs théories sur un cours discontinu du Nil, qui serait issu de la Libye occidentale, en supposant plusieurs pertes et résurgences, et en réunissant plusieurs oueds sans rapport entre eux. On constate, de toute façon, que de nos jours les régions de Touggourt et de Ouargla sont occupées par des populations berbères, et dans une forte portion métissées par la prédominance du sang noir ; les Ouargli et les Hachachna étant les plus négroïdes des populations sahariennes. Encore plus à l'ouest, la lisière méridionale de la province de Maurétanie Césarienne était peuplée d'Ethiopiens, selon deux témoignages; un fragment de la "guerre numidique" d'Appien (Num. 5), d'abord, qui relate une ruse du roi de Maurétanie (Maroc actuel) Bocchus Ier. S'apprêtant à trahir Jugurtha et à le livrer aux Romains, en 105 av. J.-C., il avait affecté d'envoyer des émissaires pour recruter des soldats éthiopiens dans les territoires qui s'étendaient jusqu'aux hauteurs de l'Atlas. Peut-être faut-il supposer une implantation éthiopienne dans la région de Laghouat, car on ne peut admettre que Bocchus ait fait semblant de recruter au sud du Sahara, d'autant que le second témoignage, beaucoup plus tard, relate, selon Ammien Marcellin (XXIX, 5,34), une expédition en 374 du comte Théodose, loin au sud d'Auzia (Sour el-Ghozlane), pendant laquelle il dut affronter des montagnards établis à proximité d'Ethiopiens. Le poète Claudien (IVe consulat d'Honorius, 34-35), à son tour, loua Théodose qui avait parcouru les déserts d'Ethiopie et cerné l'Atlas avec une vaillance insensible à la chaleur.
A l'époque antique, le sud marocain également était en partie peuplé par des Ethiopiens. Selon Strabon (XVII, 3, 5), le roi de Maurétanie Bogud mena campagne contre les Hesperii. Dans le pays de ces Ethiopiens de l'occident, poussaient des asperges géantes, qui croissent non loin de l'océan, c'est-à-dire, très probablement, sur les pentes du Haut-Atlas ou de l'Anti-Atlas tournées vers l'océan. Il semble donc que le peuplement éthiopien était situé sur le rivage, au sud du cap Rhir, et c'est en rappelant ces antiques expéditions des rois de Maurétanie contre les populations méridionales qu'il faudrait peut-être déceler les origines profondes des oppositions politiques si fréquentes, des siècles durant, et jusqu'à nos jours, entre un pouvoir centré sur le nord du Maroc, et des populations attachées dans le sud à leur identité, en marge de ce pouvoir.
Plus au nord, d'autres populations étaient aussi considérées comme proches des Ethiopiens. Il s'agit des Pharusii, un peuple d'archers, et de leurs voisins, les Nigritae. Les Pharusii progressaient dans le bassin de l'Anatis (l'Oumer-Rabiâa), ou s'aventuraient par la route des chotts jusqu'à Cirta (Constantine) et étaient séparés des Nigritae par le Haut-Atlas. Tout comme les Leukaethiopes, ou «Ethiopiens blancs», mentionnés par Ptolomée (IV, 6, 6), ils apparaissent comme une population intermédiaire, à localiser peut-être non loin du cap Rhir, dans la région où l'Atlas se rapproche de l'océan.
L'étude consacrée par Jehan Desanges au «Peuplement éthiopien à la lisière méridionale de l'Afrique du Nord, d'après les témoignages de l'Antiquité» (cf. Toujours Afrique apporte fait nouveau, p. 215-227) aboutit à la conclusion que le sud marocain, le sud algérien et les oasis du sud tunisien, ainsi que le Fezzan et, peut-être même l'oasis d'Ammon (Syouah), avaient été, pour une large part, peuplés à l'époque antique de tribus négroïdes. Durant toute cette période, la situation ethnique, semble-t-il, n'avait pas beaucoup changé. Salluste (Jug., XIX, 6) situait même les Ethiopiens au nord des «régions embrasées par l'ardeur du Soleil» et Pausanias (I, 33, 5-6), au IIe siècle, fait cas d'Ethiopiens au voisinage des habitants de la Maurétanie. Au milieu du IVe siècle, l'«Expositio totius mundi et gentium», un tableau intéressant du monde romain, cite à la lisière méridionale de l'Africa des Mazices, c'est-à-dire des Berbères et des Ethiopiens ; et au Ve siècle, Paul Orose (I, 2, 45-46) borde la Numidie, au sud des montagnes, par des tribus éthiopiennes ; et borde aussi la Maurétanie, toujours au-delà des monts, par des «Aethiopes Gangines» qui errent à la lisière septentrionale du désert. Quant à la diffusion du dromadaire en Afrique du Nord, elle ne semble pas, contrairement à ce qu'on avait avancé, avoir amoindri le domaine des Ethiopiens.
Ainsi si, au niveau des textes antiques, le métissage n'est pas expressément attesté, on ne peut exclure l'hypothèse d'un stade de faible différenciation dans le peuplement entre l'homme blanc et l'homme noir, à la lisière méridionale de l'Afrique du Nord. Tout en sachant que l'identité de ces «Ethiopiens de l'Occident», mentionnés dans les textes anciens, dépend surtout des études anthropologiques sur les restes osseux de l'Antiquité et de la préhistoire, ainsi que sur les résultats des enquêtes auprès des populations présahariennes dans les domaines de la morphologie et de l'hémotypologie.


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