Par Souad SAYED Suite à un heureux hasard, je me suis retrouvée, ces dernières semaines, à parcourir la Tunisie, du Nord au Sud et d'Est en Ouest. J'ai fait des centaines de kilomètres et visité bien des villes et des villages et même des hameaux. Je les connaissais déjà tous relativement bien pour les avoir déjà visités à de multiples reprises depuis les années 60. J'aime chaque centimètre de notre pays, j'ai donc entamé ma tournée avec joie. La finalité de ma mission initiale n'a aucun rapport avec ce qui je vais vous rapporter mais je ne pouvais pas non plus garder pour moi ce que j'ai vécu. Ce que je vais exposer plus loin n'est probablement que la partie immergée, et certainement la moins lourde de conséquences, d'un immense iceberg (système) dont les fondements sont très profonds. C'est pour cette raison que je me permets de vous le rapporter. Notre pays est en danger, je n'ai plus aucun doute là-dessus. Partout l'illégalité est devenue la règle. La transgression de la loi est devenue un sport national, de plus socialement valorisé. A chaque transaction, même pour les choses les plus simples de la vie quotidienne, j'ai constaté un manquement au règlement ou à la loi. Pas une ville, pas un village, pas une rue visitée, pas un secteur n'est épargné. L'agressivité est partout, dans la façon de commercer, de conduire, de travailler. Pas un jour durant mon périple je n'ai pas assisté à une bagarre, à une bataille rangée même, à un accident de la route... J'ai même assisté à un accident mortel. Dans notre pays, conduire est devenu une prise de risque inconsidérée. De jeunes conducteurs en scooters non casqués sèment la terreur dans nos rues. Je ne sais pas quelle est la proportion de scooters qui sont en règle et qui circulent en Tunisie, très peu certainement. Les transports en public, bus privés (légaux, et surtout illégaux), bus publics ne respectent ni les feux rouges, ni les stops, ni même les sens uniques... Les camions, taxis font de même de façon quasi systématique. Il m'est arrivé de parcourir des centaines de kilomètres sans être contrôlée par un agent de police. Souvent, je les voyais papoter sous un abri ou un arbre, indifférents à ce qui se passait sous leurs yeux ou entrain de griller une cigarette ou de parler sur leurs téléphones portables. Les étalages illégaux se comptent par milliers dans les villes, fruits, vêtements, pétrole... des trottoirs et des rues pleins à n'en plus finir. Quand ce n'est pas les commerces, c'est les cafés qui se sont approprié les espaces publics. Les déchets domestiques sont partout, dans les rues, sur les trottoirs, on marche quasiment dessus, canettes, bouteilles, sacs en plastique, même dans les arbres. Des odeurs insupportables se dégagent des bennes jamais nettoyées. Les décharges publiques sauvages à la périphérie des villes offrent des spectacles surréalistes. Sur les bords de certaines routes, on chemine de longs kilomètres entre des murets de déchets des deux côtés. Les constructions anarchiques sont visibles même au non-initié. Des endroits magiques comme Raf Raf ont été irrémédiablement défigurés. Une ville aussi belle que Gafsa ne ressemblera jamais plus à rien, Zaghouan, Bizerte, Gabès... Les gens construisent en hauteur et n'importe comment... et n'importe où. Il serait fastidieux ici de faire l'état des lieux tant les dégâts sont importants. Et puis, il y a ces foules de chômeurs, qui à 10, 11 heures du matin envahissent les cafés. Les rues grouillent de personnes qui visiblement n'ont rien d'autre à faire. N'importe quel observateur même non averti percevrait sur leurs visages, s'il veut bien s'en donner la peine, la détresse économique, sociale. Il suffit de se rendre transparent, de s'arrêter à un coin de rue, une heure de temps et d'observer. Il y a une réelle paupérisation des classes moyennes. Les visages sont fermés, l'attitude agressive, ils n'achètent rien, ils déambulent simplement dans l'espoir de je ne sais quel miracle. D'ailleurs, les commerçants, les restaurateurs, les coiffeurs vous le disent après deux minutes de conversation, tout va mal, le marché est plein mais les clients sont rares. Autre grave phénomène observé, on a l'impression que les élèves passent désormais plus de temps devant les lycées que dans les lycées, partout on constate à n'importe quelle heure de la journée des dizaines d'élèves devant les lycées et dans les rues avoisinantes, assis à ne rien faire. Je ne condamne personne, je ne cherche pas à culpabiliser une partie ou une autre de nos concitoyens et encore moins la classe politique, je n'ai pas de solution toute prête à proposer, je ne souhaite ici que tirer la sonnette d'alarme pour dire que nous n'étions pas habitués à voir ces choses dans notre beau pays, en tout cas pas dans ces proportions. La liberté si chèrement acquise appelle la responsabilité de chacun. Or nous sommes en train de franchir des limites sur lesquelles il serait impossible de revenir. Ayant le courage de prendre nos responsabilités, ce n'est pas la faute de l'autre, c'est notre faute, chacun dans son domaine, l'instituteur, le chauffeur de bus, le commerçant, le policier, l'agent de municipalité, tous nous devons lutter contre la déliquescence de l'Etat qui est le seul garant des libertés et des biens pour chacun d'entre nous.