Par Abdelhamid Gmati La création de la Haute instance indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) est en soi une bonne nouvelle. Après de longs mois de négociations, d'atermoiements et de faux fuyants, on s'est enfin entendu sur la composition de cette Haica appelée à mettre de l'ordre et à réguler les médias concernés. En fait, il n'y a pas lieu de pavoiser, le véritable travail ne fait que commencer, surtout lorsque l'on sait que les menaces sérieuses pèsent plus que jamais sur la liberté de la presse et la liberté d'expression. Déjà au niveau du projet de la nouvelle Constitution qui ne garantit pas de manière tranchée et sans équivoque ces libertés fondamentales dans une démocratie. L'article 121, par exemple, prévoit une instance qui agira comme l'ancien ministère de l'Information et instituera la censure et le contrôle des médias par le pouvoir exécutif. Diverses parties, parmi les gouvernants, principalement le mouvement Ennahdha et le CPR, multiplient les initiatives et les déclarations ayant pour objectifs de museler les médias, comme au bon vieux temps de la dictature. Témoin, ce projet de loi déposé par le CPR qui criminalise toute personne ou journaliste qui critique un responsable politique. Les médias sont pointés du doigt et n'hésitent pas à les accuser de tous les maux, en usant de toutes sortes de mots, y compris les insultes les plus abjectes et à user de violences verbales et physiques. 196 journalistes ont été agressés en un an et plusieurs sièges de médias ont été saccagés. M. Samir Dilou estime que «les médias ne sont pas au-dessus de la critique, même si le gouvernement a commis des erreurs» ; et il accuse certains «médias audiovisuels de colporter de fausses allégations au sujet des membres du gouvernement...». M. Dilou oublie qu'il est ministre des droits de l'Homme et que s'il y a des dépassements c'est à la justice de statuer. En fait, il y a du vrai dans ses déclarations. Il est indéniable que les médias se sont beaucoup améliorés et ont accompli des progrès significatifs aussi bien sur le plan qualitatif que quantitatif. Les journalistes ont vécu pleinement (et le vivent encore) dans l'euphorie le rétablissement de la liberté de la presse et d'expression. Et ils ont permis de mettre au jour un tas de sujets qu'on voulait cacher à l'opinion publique. Mais liberté ne veut pas dire irresponsabilité. Certes, tout média a le devoir et l'obligation d'éclairer le peuple et de l'informer de tout ce qui le concerne. La principale difficulté des journalistes est de débusquer l'information. Et il n'est pas évident que les gouvernants, aussi bien que les opposants ou les représentants de la société civile, veuillent révéler toutes leurs actions ou leurs intentions ; l'omerta est toujours de mise sur certains sujets. Cette rétention de l'information est de mise et explique, en partie, tous ces démentis qui fleurissent depuis plus d'une année dès qu'une information cachée est révélée. Cette recherche effrénée de l'information, couplée par la soif du scoop, explique en partie certaines outrances, certains dérapages, certaines «naïvetés». Un média a-t-il le droit de reprendre des informations sans les vérifier ? Il est de notoriété publique que les réseaux sociaux, grâce à l'anonymat, se prêtent à toutes sortes de manipulations et de fausses nouvelles. Les exemples sont très nombreux. Dès l'annonce de la candidature de M. Caïd Essebsi à la future élection présidentielle, des «nouvelles» ont circulé faisant état de sa maladie due à son âge. Bien entendu, il n'en était rien. Un média qui se respecte se doit d'être circonspect et prudent avant de reprendre ce genre d'information. De la même manière, est-il utile de reprendre les déclarations et les actes de personnes sur les réseaux sociaux ? L'exemple de la jeune « Femen » est significatif. D'un acte isolé et personnel, on a créé une vedette, aujourd'hui menacée et objet de vindictes. Chaque journaliste ou animateur d'une émission est libre de choisir ses invités et les personnes qu'il veut interviewer. Il y a toujours des raisons objectives à cela. D'abord que cela soit utile au public. En principe, on donne la parole à une personnalité représentative d'un parti politique, d'une organisation, d'un groupe important susceptible d'éclairer l'opinion sur des sujets d'importance générale. Mais quel est l'intérêt d'inviter des inconnus qui ne représentent qu'eux-mêmes? Certaines petites organisations, inconnues, en mal de notoriété et de public, n'ayant aucune incidence et sans intérêt ont organisé des sit-in pour pouvoir profiter de tel ou tel média. Idem pour les imams obscurantistes ou les membres d'organisations extrémistes telles que les LPR. Une façon de créer des vedettes artificielles qui, sans cela, resteraient dans l'anonymat sans préjudice pour personne. A part qu'il faut choisir à qui on offre une notoriété qu'ils n'ont pas, il faut aussi savoir veiller à la pertinence des propos qu'ils vont proférer. Peut-on décemment diffuser à une grande audience des accusations, des insultes, des menaces, des termes orduriers ? Le denier exemple en date est celui d'un incertain conseiller à la présidence de la République qui s'est répandu en termes, pour le moins, indécents à l'égard de certains animateurs. Fallait-il lui accorder une telle importance ? Ne sait-on pas que ces personnes font de la provocation intentionnelle, justement pour faire parler d'eux et sortir d'un anonymat qui est leur statut naturel ? Nul ne peut remettre en question la liberté de la presse. Et les médias doivent aussi être responsables et mesurer la véracité et l'impact de ce qu'ils rapportent