Disons-le d'emblée : deux ans et quelques mois après la révolution du 14 janvier 2011, la liberté de la presse va mal. La liberté de la presse est attaquée. Elle subit des tirs croisés : remises en cause constitutionnelles et législatives; tentatives de mainmise de la coalition gouvernementale; intimidations et terrorisme intellectuel et physique de groupes de choc et de milices inféodées au pouvoir. Le projet de la nouvelle Constitution justement. Ni son préambule ni ses articles initiaux ne stipulent la liberté de la presse. Elle est reléguée à l'article 40. Juste après la fameuse parodie du droit à l'eau, qui serait garanti. Elle ne figure pas au titre des libertés inviolables. Son exercice est conçu dans une approche restrictive. Elle est soumise à des limitations expressément énoncées. Au même titre que le droit à l'accès aux sources de l'information. Au même rayon de l'escamotage délibéré du droit syndical, bafoué à loisir par l'énoncé constitutionnel mièvre. Par ailleurs, les lois régentant le secteur depuis la révolution sont en souffrance. Le décret-loi relatif à l'accès aux sources de l'information est désuet avant même d'être mis en branle. Les décrets-lois sur la liberté de la presse et sur l'audiovisuel sont en panne. La coalition gouvernementale a tenté de remplacer le premier. Un projet de loi liberticide contre la presse a été déposé auprès du bureau de l'Assemblée constituante. Le dernier décret-loi n'est toujours pas appliqué. Il pâtit du double bras de fer présidence de la République-gouvernement et présidence de la République-Syndicat national des journalistes. Le bras de fer gouvernemental avec les journalistes s'est soldé, le 17 octobre 2012, par la grève générale du secteur, première en son genre. Et le dialogue de sourds n'en finit pas de perdurer. Un nombre important de journalistes tunisiens subissent, à leur corps défendant, les menaces de mort, les agressions physiques et les attaques en règle. Celles-ci sont périodiquement orchestrées par les partis gouvernementaux, leurs séides et leurs milices. Le topo n'est guère reluisant. La haine antijournalistes tourne à l'obsession. On craint même qu'après Chokri Belaïd, la prochaine cible des escadrons de la mort soit un journaliste. Ne nous y trompons pas. Il y a de sérieuses menaces sous nos cieux. Les journalistes sont surexposés. La majorité et ses colonnes veulent les empêcher de travailler. Ce faisant, les attaques contre les médias et les journalistes instituent un attentat permanent contre la liberté et la démocratie. La liberté de la presse est le portail de toutes les libertés. Y porter préjudice équivaut à enrayer toutes les libertés fondamentales, individuelles et publiques. Le plus étonnant dans ce triste manège, c'est que les autorités s'investissent pleinement dans ces attaques croisées contre les médias et les journalistes. De très hauts responsables s'y adonnent volontiers. Ils sont dans le gouvernement et à la présidence de la République. Les députés de la majorité gouvernementale ne sont pas en reste. Encore une fois, la révolution ressemble à un fleuve détourné. Ou à un bateau ivre. Ici comme ailleurs, le sommeil de la raison engendre des monstres.