Tout le monde l'a compris et l'a bien intégré, les plus jeunes surtout, notre paysage artistique «institutionnelle» ne compte pas de sitôt s'ouvrir réellement aux nouveaux talents et semble être décidé à demeurer hermétique, du moins pour le moment. Après un gain en visibilité post-14 janvier, nos jeunes artistes, de la scène alternative, musiciens, cinéastes, poètes, slammeurs et autres tagueurs se sont vu fermer les portes des studios et autres espaces de production, si tant est que ces espaces existent. Désolant est le constat et dure est la réalité des choses, nos structures étatiques et à leur tête le ministère de la Culture, n'arrivent pas à fédérer les jeunes artistes et cette mission devient de plus en plus improbable avec les coupes budgétaires opérées dans ce secteur. Il devient de plus en plus difficile, voire impossible pour un jeune artiste tunisien de s'épanouir artistiquement, de créer, de produire. Vivre de cette activité relève désormais de l'utopie. Certains l'ont bien compris et ont décidé de faire cavalier seul et de compter sur soi-même. Parmi eux, il y a Bayrem Kilani, connu publiquement sous le pseudo de Bendirman, résigné, il décide de lancer son propre projet, l'idée principale étant de sortir de l'ombre les artistes les plus talentueux, voire professionnaliser les arts scéniques en Tunisie, et ce, à travers des ateliers artistiques organisés un peu partout dans le pays. Le projet prend l'allure d'une ONG et voilà que «El Masnaa»(la fabrique) est né en mai 2012. Cette initiative séduit d'autres jeunes artistes, Vipa, Katibon, Phenix n'hésitent pas à rejoindre Bendirman dans son aventure. «Nous estimons que la création artistique, en l'occurrence musicale, est un champ vital pour la liberté, notamment pour les jeunes issus des régions marginalisées et qui sont en manque d'espace d'expression, d'une véritable bouffée d'air frais», écrivent-ils dans une sorte de manifeste. Formation, visibilité et production, le projet «El Masnaa» se présente comme un programme de formation pour musiciens dont l'ambition est d'encadrer les jeunes talents de différents backgrounds, en mettant à leur profit l'expertise des artistes confirmés. Ces formations ciblent en priorité les régions en manque d'infrastructure, d'espaces de création et d'expression libre, en garantissant à ces talents une certaine visibilité que l'Etat n'arrive pas à leur assurer. Pour ce faire, un programme sur trois étapes majeures a été établi: il y a d'abord les workshops que ce soit d'écriture musicale, de chant ou de steel band, selon les besoins relevés. Le premier workshop, organisé par El Masnaa, s'est tenu récemment à Sidi Bouzid et actuellement un deuxième, pluridisciplinaire (hip-hop, chant et arrangement pour groupes), se tient depuis le 1er mars à Gafsa. Ces workshops aboutiront à la sélection d'un groupe de jeunes pour la constitution de duos avec les artistes de renom : Bendirman, les rappeurs, Vipa, Katibon, Hamzaoui Med Amine et Klay BBJ, etc. Vient ensuite l'étape de la tournée régionale, qui inclura trois dates dans trois villes différentes de chaque région. Les artistes sélectionnés durant la première étape profiteront d'une formation dans les arts de la scène et assureront la première représentation de l'œuvre créée ou seront les invités d'honneur des artistes confirmés. Après la visibilité, viendra l'étape de production avec la possibilité d'enregistrement d'un album. Ainsi, les jeunes artistes les plus talentueux rencontrés à travers les ateliers et la tournée seront invités à enregistrer un album (sélection de 12 chansons issues de la collaboration entre artistes), et ce, «dans des conditions optimales à la fois artistiques et professionnelles et qui sera diffusé dans les circuits internationaux de distribution, et ce, en vue de donner un nouvel élan aux artistes locaux et de les mettre en contact avec le monde de la production mondiale «labels, éditeurs, organisateurs de voyages et promoteurs du festival» comme le notent les protagonistes de cet ambitieux projet qu'est «El Masnaa». Bon vent!