Par Khaled TEBOURBI Intéressant, le discours de François Hollande devant le Parlement algérien. Pour la Tunisie actuelle certainement bon à méditer. On a, bien sûr, un peu souri, quand le président français a déclaré qu'il ne vient pas à Alger pour «faire du commerce». De même que l'on n'a pas tout à fait saisi la différence entre reconnaître «les injustices et les brutalités de la colonisation» et s'en «repentir» ou s'en «excuser». Mais on a perçu du vrai, beaucoup de vrai, dans ce qu'il a dit à propos de liens culturels et linguistiques. On s'est senti également concernés. François Hollande a cité Kateb Yacine, Mohamed Dhib, Assia Jebbar, Yasmina Khadra (il y en a d'autres), ces écrivains «qui incarnent la diversité de la langue française». Il aurait pu ajouter plus important encore: la littérature algérienne francophone a été une arme de combat pendant la guerre de libération nationale, et c'est, de nos jours, un «butin» précieux pour défendre et préserver les valeurs de liberté, de progrès, de modernité... «Le bon paradoxe» de la colonisation française est qu'elle n'a pas été avare de sa culture. Cette culture a permis l'éclosion des meilleurs cadres du F.L.N., l'émergence d'une élite intellectuelle algérienne d'avant-garde, écoutée partout dans le monde. Elle a surtout aidé à la prise de conscience du peuple algérien. Pas seulement lors de sa lutte contre l'occupant, mais aussi lorsqu'il lui a fallu faire ses choix historiques. L'Algérie a échappé au pouvoir islamiste début 90. Sur un coup de force de l'armée? Ce n'eût sûrement pas abouti sans ce «background» ancré de longue date dans l'enseignement des «lumières», sans l'impulsion de l'élite algérienne francophone et sans cette prise de conscience du peuple algérien. Un legs menacé Nous nous sentons également concernés parce que le legs de la culture française et de la francophonie est à peu près le même en Tunisie. A être justes, objectifs à l'égard de notre histoire, celle du protectorat comme celle des cinquante années de l'indépendance, nous lui devons nous aussi nos meilleures élites politiques, nos plus grands intellectuels, des générations instruites et éclairées, le renforcement et la consolidation de notre tradition d'ouverture par-dessus tout. Nous nous sentons d'autant plus concernés, qu'ici et maintenant, à la différence de l'Algérie, ce legs est plus que jamais remis en cause, plus que jamais menacé. Ne nous attardons pas sur les insultes, les rejets, les mépris proférés, en toute occasion, à l'encontre de l'intelligentsia francophone : par les «ultras» conservateurs. Ni même sur le pernicieux amalgame qu'ils font entre dictature et francophonie. Le «nettoyage» (c'est bien «le concept» utilisé) s'esquisse et prend forme aujourd'hui à travers les institutions, le projet de Constitution, les propositions du gouvernement. On vise à repartir de «la page nue». Cela va beaucoup plus loin que se «débarrasser» d'une opposition libérale ou démocratique, on veut «raser» une culture pour lui substituer une autre. On veut fonder un Etat sur «l'identité arabo-musulmane». Historiquement, cela n'a aucun sens. Du temps du protectorat, au plus fort de la francophonie et de la culture française, sous Bourguiba et jusque sous Ben Ali, le pays était à cent pour cent arabe et musulman. Et il le demeure. Nul ne lui a jamais contesté sa foi ni son culte. Il y avait dualité parfaite. Elle existe encore. Racines arabe et islamique intouchables, imperméables, et l'apport fructueux des langues et des cultures. D'où vient que l'on cherche à détruire ce parfait équilibre? D'où vient cette brusque «panique identitaire»? D'où vient cette obsession de «la page nue»? «La boîte de Pandore» Rien moins, hélas, que d'un désir forcené de pouvoir. Intégrer l'identité arabo-musulmane à la Constitution c'est consacrer, «légalement», les interdits moraux, civiques et religieux. Honnir des langues et des cultures, c'est supprimer, à la base, toute aptitude à la critique et à la contradiction. Hurler à «l'effacement» et à la «mécréance», c'est titiller la corde sensible d'un peuple pour mieux le soumettre. Couper un pays de son passé, c'est vouloir s'approprier son avenir. «Une boîte de Pandore», à la discrétion du «prince», ouverte sur toutes les transgressions et tous les abus.