L'Association tunisienne d'études politiques (Atep) a organisé le samedi 29 septembre 2012 à Hammamet ses IVes Conférences sur le thème «Les islamistes et la conquête démocratique du pouvoir». Il s'agit d'une question sensible à la fois sur le plan politique, idéologique, sociologique et juridique, se ressourçant de l'actualité politique tunisienne et arabe d'aujourd'hui. Ce thème a été débattu par un ensemble d'universitaires et un représentant d'Ennahdha. Le débat a tourné autour de la récente expérience démocratique des islamistes dans la gestion des affaires de l'Etat et du gouvernement. Hatem M'rad, professeur à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis et président de l'Atep, a, dans son allocution de bienvenue, rappelé les objectifs scientifiques premiers de l'activité de l'Association : la diffusion de la culture de science politique et le souci de la multidisciplinarité pour aborder et comprendre les différentes thématiques politiques, comme celle du rapport islam-démocratie et expérience politique. Dans sa conférence inaugurale, Hamadi Redissi, professeur à la faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis, a ensuite pris la parole et abordé la question portant sur «l'islamisme et post-islamisme». Il a posé un certain nombre de questions concernant l'islamisme et son rapport avec le champ politique, en mettant l'accent sur la congruence (adéquation-concordance) entre islam et politique. Il a défini, par ailleurs, le concept de l'islamisme et ses variantes en le situant dans différentes typologies. L'islamiste qui, reconnaît l'orateur, est rarement défini, peut être aussi bien le type prédicateur, qui n'est pas forcément politique, le type jihadiste imprégné d'«un idéal religieux» ou le type politique caractérisé par le pragmatisme politique acceptant le jeu démocratique et la reconnaissance des notions comme l'Etat, la séparation des pouvoirs, les droits de l'Homme, etc... Au final, il considère que le post islamisme est perçu et reconnu comme étant un mouvement «moderniste», «rationnel», et «réaliste» né de l'échec du mouvement radical religieux. La question qui se pose à l'avenir est de savoir si le mouvement post-islamiste ou néo-islamiste va continuer à adopter son idéologie «islamo-moderniste» après les révolutions dans les pays du «printemps arabe». La seconde intervention du sociologue Mouldi Lahmar, professeur à la faculté des Sciences humaines de Tunis, a pour interrogation : «Un mouvement de prédication religieuse est-il en mesure de fonder la démocratie ?». Il a d'abord commencé par exposer le phénomène de la lutte du pouvoir dans l'histoire médiévale du Maghreb en se basant, dans son analyse, sur une approche à la fois sociologique, anthropologique et historique. L'intervenant a par ailleurs démontré que tout mouvement de prédication religieuse opérant dans un espace social et culturel particulier cache inévitablement une action politique. Le sociologue considère, de ce point de vue, que la légitimité historique des mouvements de prédication était même indispensable pour la conquête et la prise du pouvoir. Quant à la problématique posée, le conférencier, sans fournir une réponse précise, considère que cela dépend de l'issue de deux lectures : les mouvements de prédication ne sont jamais, certes, parvenus à fonder la démocratie dans l'histoire politique musulmane, mais cela pourrait être possible, si ces mouvements pouvaient être accompagnés par une révolution idéologique. La troisième intervention de Amin Mahfoudh, maître de conférences agrégé à la faculté de Droit de Sousse, se caractérise par une approche critique de la prestation politique des islamistes par rapport aux valeurs démocratiques universelles consistant à savoir si «les islamistes seraient bien impliqués par le printemps arabe ?». L'intervenant a commencé par la délimitation du mot «printemps» en constatant son inadéquation par rapport au «printemps arabe». Il a ensuite tenté de relever, non seulement l'échec de l'expérience des islamistes au pouvoir, mais également les inquiétudes qui ne cessent de s'accentuer face à la violence que connaît la Tunisie après les élections du 23 octobre 2011. Les inquiétudes se traduisent pour lui par le rejet du projet démocratique, l'instrumentalisation de l'espace religieux et la régression des libertés publiques. Ajmi Lourimi, membre du bureau exécutif d'Ennahda et représentant la tendance rationnelle de ce parti, était en revanche optimiste lors de sa communication en présentant la récente expérience de la Troïka au sein du pouvoir. Il a mis l'accent sur le possible compromis entre démocratie et islam en cherchant à trouver un nouveau concept ménageant le «sacré» et le «profane». Pour lui, le projet islamiste est possible et réalisable s'il s'appuie sur une révolution épistémologique, et s'il arrive à poser de nouvelles significations tendant à dépasser le clivage classique entre sécularisation et islamisme. A ce titre, il a appelé à l'institutionnalisation d'un Etat «post-islamique» qui ne soit ni théocratique, ni autocratique. Hatem M'rad, professeur à la faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, a, pour sa part, abordé lors de sa conférence la question du «difficile apprentissage du compromis démocratique par Ennahdha» et de l'importance du compromis dans les transitions démocratiques. Pour lui, il y a en politique deux types de décision : la décision unilatérale et le compromis. La question est de savoir pourquoi on recourt au compromis. Parce qu'il n'y a pas en politique, monde de conflits et de passions, de solution pure ou satisfaisante, pas de réponse admise d'emblée et reconnue par tous. Le compromis est déjà, d'après lui, difficile à réaliser entre partis laïques, il l'est davantage entre partis laïques et partis islamistes. Il ne s'agit plus ici de tendances politiques opposées, mais de sphères civilisationnelles opposées, cité des hommes contre cité de Dieu. Il reconnaît que si Ennahdha a eu à faire des compromis réels et sérieux depuis le 23 octobre (abandon de la charia notamment), malgré les agitations ambiantes, elle n'en reste pas moins dogmatique et figée dans de nombreux domaines encore. Ce qui complique les choses, reconnaît Hatem M'rad, c'est que le compromis ne fait pas partie de la culture arabo-musulmane et de l'histoire tunisienne. Les conflits politiques étaient dans le passé réglés par l'épée, le compromis étant perçu comme l'arme des faibles ou une atteinte à l'honneur de l'émir, du monarque ou du dictateur. Evoquant la question de « la débâcle électorale des partis islamistes algériens »aux législatives de 2012, Moëz Charfeddine, assistant à la FSJPST, tente d'appréhender les fragmentations du champ politique des principaux partis de tendance islamiste actuellement présents en Algérie. Trois dynamiques majeures y sont à l'œuvre : 1) l'impact de la cooptation par l'Etat des partis islamistes légalisés tels que le Hamas et Al Islah, dont l'idéologie et le fonctionnement se professionnalisent et s'institutionnalisent, 2) la dissolution de leur charge protestataire par cette même cooptation et l'échec de leur insertion dans une compétition politique réelle, ces débats étant ravivés par les possibles voies de réintégration dans le champ politique des anciens militants et leaders du FIS, 3) le désintéressement grandissant des militants de base de sensibilité islamiste pour le cadre du parti qui lui préfèrent désormais le cadre antipolitique et peu hiérarchisé de la daawa salafiya, nouvel agent structurant des relations entre l'Etat et la mouvance islamiste. L'enjeu pour ces partis aujourd'hui, après leur défaite électorale, est, tout en participant au système politique algérien, de conserver leur potentiel mobilisateur et contestataire.