La révocation par le ministre de la Justice de 81 magistrats, dans l'attente d'une nouvelle liste qui sera connue dans les jours à venir, a suscité d'importants remous au sein de la famille judiciaire, plus particulièrement au niveau de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), du Syndicat des magistrats tunisiens (SMT) et de l'Observatoire tunisien de l'indépendance de la magistrature (Otim). Idem pour les organisations nationales et les partis politiques qui ont publié des déclarations appelant «à faire valoir la voie du dialogue et du consensus en vue de réformer le système judiciaire et de faire participer toutes les parties prenantes à la conception d'une approche qui consacrera l'indépendance du pouvoir judiciaire». Certains acteurs du paysage politique national, à l'instar du parti El Amen, vont jusqu'à avancer la proposition de créer une instance commune groupant des représentants de la Constituante, du gouvernement, de la présidence de la République et du syndicat des magistrats qui sera chargée de «réformer la magistrature et de juger les magistrats dont la culpabilité (en matière de corruption et de malversation) aura été établie». Mais avant d'arriver à cette phase de traitement du dossier de la magistrature aussi importante soit-elle, il est utile de s'interroger comment les deux structures les plus actives sur la scène judiciaire, à savoir l'AMT et le SMT, ont-elles réagi à la décision de révocation des 81 magistrats en question. Grève ouverte jusqu'à nouvel ordre Pour le Syndicat des magistrats tunisiens (SMT) présidé par Raoudha Laâbidi, les choses sont claires : «L'ensemble des magistrats dans tous les tribunaux de la République sont en grève ouverte, à compter du mardi 29 mai 2012 jusqu'à ce que le ministre de la Justice revienne sur sa décision de révoquer les 81 magistrats en question de leurs fonctions et la remplace par des procès équitables». Le syndicat considère, en outre, que la révocation des magistrats «est contraire aux fondements de la justice transitionnelle qui exigent de révéler la vérité au peuple et de juger ceux qui ont violé les droits, tout en garantissant des jugements équitables et surtout le droit à la défense». Par la même occasion, les magistrats adhérents au SMT n'ont pas manqué de réaffirmer leur opposition au projet du ministère relatif à la création d'une instance provisoire de l'ordre judiciaire censée remplacer le Conseil supérieur de la magistrature. Ils estiment, en effet, que «ce projet consacre la mainmise du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire et vise à réserver au ministre de la Justice, seul, le pouvoir de décider des nominations des magistrats». Et comme il fallait s'y attendre, l'Association des magistrats tunisiens a tenu à se démarquer du syndicat en annonçant, dans une déclaration, dont une copie est parvenue à La Presse, «qu'elle n'a émis aucun avis de grève ouverte à partir du 21 mai 2012 sur fond des révocations annoncées le 26 mai». L'AMT précise, d'autre part, que son conseil national tiendra une réunion extraordinaire demain. Le bureau exécutif de l'AMT appelle également les magistrats touchés par la décision de révocation voulant ester en justice contre cette même décision à soumettre leurs dossiers à l'Association «en vue de les examiner avec les parties concernées, de faire la lumière sur cette affaire et de réhabiliter ceux qui ont été écartés injustement». La déclaration s'étonne, sur un autre plan, de la concomitance de l'annonce des révocations avec la recrudescence des actions de protestation menées par les magistrats en vue de mettre en place une instance provisoire chargée de gérer la justice. Et certains n'ont pas hésité à se poser la question de savoir si les révocations ne sont pas liées au refus catégorique du projet par les magistrats qui estiment qu'il ne «répond pas aux standards internationaux en matière d'indépendance de la justice». Une lettre ouverte au peuple Quant à l'Observatoire tunisien de l'indépendance de la justice, il a rendu public un rapport détaillé sur le contenu et les recommandations issues de l'assemblée générale extraordinaire de l'AMT tenue, dimanche 27 mai, soit le jour suivant l'annonce des révocations par le ministère de la Justice. Il apparaît, d'après ce rapport, que les participants ont voté, à l'unanimité, le principe de la grève tout en demandant au bureau exécutif de l'Association de décider de sa date lors de la réunion du prochain conseil national dont les assises se dérouleront le 1er juin prochain. Parmi les appels qui ont été lancés par cette assemblée générale extraordinaire, l'on peut citer l'invitation de la Constituante à accélérer la mise en place de la loi sur l'instance provisoire de la magistrature, tout en se fondant sur les propositions exprimées par l'AMT, le refus de tout mouvement judiciaire ou de nominations en dehors de l'Instance provisoire, l'appel au ministère de la Justice pour dévoiler son projet concernant la création d'un groupement judiciaire qui sera chargé de l'examen des affaires de corruption et de malversation et enfin la rédaction par le bureau exécutif de l'Association d'une lettre ouverte sur l'état actuel de la justice et de sa publication par les médias. Du côté du ministère de la Justice, rien de nouveau à propos de la prochaine liste des magistrats révoqués. Il semble qu'elle n'est plus à l'ordre du jour à Beb Benat. La seule nouveauté concerne la déclaration de Noureddine B'hiri à l'un des journaux de la place, concernant la possibilité pour les magistrats révoqués d'introduire un recours auprès du chef du gouvernement, Hamadi Jebali, dans un délai ne dépassant pas trois jours, à compter de la journée d'hier, mercredi 30 mai.