Les différents sit-in et mouvements de protestation n'ont pas empêché les cinéphiles de Jendouba de poursuivre leurs activités. Malgré vents et marées et la position de certains qui croient que la culture n'est pas une priorité, ils ont quand même réussi à créer l'évènement. Le ciné-club de cette ville du Nord-Ouest vient d'organiser, le week-end dernier, la première édition des journées cinématographiques de Jendouba. Un boucan d'enfer accompagnait notre arrivée devant le centre culturel, musiques engagées, Cheikh Imam, affiches et banderoles annoncent la couleur de l'évènement. Le président du club, Chokri Ben Massoud, un des dinosaures du mouvement «ciné-clubiste», n'a jamais baissé les bras, son ciné-club d'enfants de Jendouba est l'un des fleurons de la FTCC (Fédération tunisienne des ciné-clubs). Il milite depuis des dizaines d'années pour faire de la cinéphilie l'une des activités principales de cette ville et il a réussi à sensibiliser toute une génération autour de l'art cinématographique. A l'entrée de la salle, nous reconnaissons quelques visages du ciné-club pour enfants de Jendouba. Devenus adultes, nous les avons souvent vus arborer fièrement leurs badges pendant les grandes manifestations, telles que les Journées cinématographiques de Carthage ou le Fifej (Festival international du film de l'enfance et de la jeunesse) de Sousse. Les yeux brillants, ils discutent, argumentent et dénoncent. Le ton monte et l'on lance des blagues parfois pour détendre l'atmosphère... «Depuis les premiers mois de la révolution, on n'a pas arrêté de réfléchir sur ce que devrait être notre rôle», avouent-ils. Ils se demandent où est-ce qu'ils devraient se placer ? «Certes, s'expliquent-ils, chacun d'entre nous a ses propres convictions politiques mais la part de la culture ne doit en aucun cas être négligée et encore moins piétinée par les conflits politiques». D'ailleurs, durant les pires années de la dictature, les cinéclubs étaient parmi les derniers bastions de la liberté de pensée et d'expression. Chokri Ben Massoud nous confie que le RCD a fait plusieurs tentatives pour leur confisquer cet espace. Le parti de l'ancien régime, a même essayé d'interdire les activités en faisant pression sur les directeurs des maisons de la culture, les délégations culturelles et les autorités régionales. Nous nous dirigeons vers la salle de cinéma. Khorma, le premier long métrage de Jilani Saâdi, est à l'affiche. Dans la grande tradition des ciné-clubs, tout film est suivi d'un débat en présence de son réalisateur. D'ailleurs, Jilani Saâdi a fait le déplacement non seulement pour assister à la projection mais aussi pour assurer un atelier de direction d'acteurs. Le cinéaste Lassaâd Dkhili, originaire de la région, assure à son tour un deuxième atelier d'écriture de scénario. A l'extérieur de l'espace où se déroule la manifestation, nous sentons que la ville a du mal à reprendre son souffle. Le public reste frileux, surtout le soir. La présence féminine est rare, voire inexistante lors des projections nocturnes et même dans l'atelier d'analyse filmique. Le dimanche, Jendouba s'est réveillée très tôt, secouée par le match de l'EST au Japon. Le marché hebdomadaire est presque désert et les étalages de vêtements fripés et de fruits ou de légumes attendent désespéramment leurs clients. Par contre, les cafés sont surpeuplés de supporters de l'équipe de foot tunisienne. Au centre culturel, l'atelier est en effervescence. Un bon nombre de jeunes y participent. On se croirait dans un monde parallèle. Et dire que dans cette ville, il n' y a pas de salles de cinéma. Chokri Ben Massoud nous emmène visiter un lieu étonnant. Nous nous retrouvons dans le célébre grand boulevard appelé «le boulevard des Palmiers ». Une enseigne nous interpelle sur laquelle c'est écrit «Casino». Le portail en fer du casino s'ouvre sur les ruines d'une salle de cinéma abandonnée depuis une dizaine d'années. Chokri et Lassaâd sont émus aux larmes. On dirait qu'ils voient ce lieu pour la première fois. Mais ce sont leurs souvenirs d'enfance dans cette salle qui ont provoqué cette émotion. Les fauteuils où ils étaient souvent cloués sont restés intacts mais envahis de poussière. La salle n'est pas si délabrée, elle n'a pas besoin de grand-chose pour reprendre son activité. Elle peut même faire fonction de salle polyvalente capable d'accueillir toutes formes de spectacles vivants. Mais qui pourrait prendre en charge ce projet et rendre son âme à cette salle? Surtout pas les cinéphiles ou les intellectuels de la ville qui n'en ont pas les moyens. Y aurait-il dans la région un homme d'affaires à la fibre culturelle, qui serait soucieux d'éclairer l'enseigne du «Casino» et d'offrir un espace de rêve et de culture aux générations actuelles et futures? A bon entendeur...