Par Zouhaïer Ben Hamed A l'instar de l'ensemble de la profession, les gens des médias exerçant dans les régions vivent, aujourd'hui, une transition des plus difficiles mais aussi des plus prometteuses vers une pratique médiatique indépendante, professionnelle et crédible. Après avoir subi de plein fouet la révolution dans sa dimension nationale et ses spécificités régionales et locales, les journalistes, les animateurs et autres correspondants, notamment dans les radios et les unités de TV publiques, essaient à présent de tourner la page d'une information qui fut longuement dirigée et fortement personnalisée. C'est une ère médiatique des plus exceptionnelles et des plus riches qui s'ouvre désormais à eux; une ère marquée, il est vrai, par des pressions diverses et des difficultés sérieuses mais surtout caractérisée par une substance à laquelle ils n'ont jamais vraiment goûté auparavant : la liberté. Ne s'agit-il pas là d'une chance tant espérée et d'un atout inégalé pour exercer enfin un métier des plus délicats et d'en acquérir les moyens intellectuels et professionnels indispensables à la satisfaction d'une demande citoyenne de plus en plus intense, de plus en plus variée, de plus en plus contradictoire ? Un droit sacré C'est dans un climat de fortes tensions et sur un terrain des plus glissants où se sont mêlées géographie, histoire et politique, où le socioéconomique ne cesse de raviver le culturel, que les professionnels des médias régionaux ont appris ce qu'est vraiment le droit du citoyen à l'information. Tous ceux qui ont eu le courage de ne pas quitter les lieux et de faire avec la pression de la rue, ont eu, ils en ont tous les jours, la preuve que l'information, dans ces moments forts de l'histoire a une nature et une valeur dépassant tout ce que peuvent prévoir les théories de la communication les plus élaborées. A maintes reprises, un micro tendu, une caméra activée, un journaliste présent au bon moment au bon endroit, un animateur trouvant le juste mot, la juste tournure, tout cela était de nature à calmer les esprits, à éviter des situations critiques, voire épargner des vies humaines et éviter à des bâtiments et biens publics ou privés colère et destruction. Mieux encore, des opinions ont été exprimées, des espérances et des attentes ont été formulées. Réclamé haut et fort par les jeunes et moins jeunes, les diplômés, les chômeurs, les élites et le simple citoyen, le droit à la parole et surtout le droit à l'image sont devenus synonymes de présence, d'existence, de participation, bref d'une citoyenneté avide de médiatisation. Etre vu et être écouté, signe de démocratisation de la chose médiatique, peut, aux yeux de certains, augmenter les chances de voir son problème résolu et sa revendication légitimée. Critiqués, contestés, parfois malmenés mais paradoxalement fortement sollicités, les médias régionaux auraient fini par avoir une nouvelle chance auprès de leur public. Mais, c'est en s'impliquant, en s'interpellant, en essayant de donner le meilleur d'eux-mêmes que ceux qui y travaillent ont pris conscience des défis qui les attendent et des besoins dont ils ont absolument besoin. L'enjeu de la proximité La démocratisation de l'information, enjeu majeur du paysage médiatique régional et national, consiste à permettre au plus grand nombre et surtout à ceux qui en sont privés, d'informer et de s'informer, de s'exprimer et de communiquer de la manière la plus proche et la plus permanente possible. Pour cela, il s'avère aujourd'hui impératif de mettre en place des bureaux permanents rattachés aux radios régionales dans les principales villes de leurs régions respectives. Un petit local, une équipe de rédaction réduite assistée d'un technicien de prise de son disposant d'un matériel radiophonique de base (une console de 4/6 voix, quelques micros, des enregistreurs, des casques et un Pc) peuvent assurer quotidiennement la couverture de l'actualité locale et promouvoir la participation des acteurs locaux aux différentes émissions de la station. La mise en place de tels bureaux pourrait s'inscrire, à moyen terme, dans une logique d'extension de l'audiovisuel public à tous les gouvernorats du pays même si des médias locaux privés peuvent y voir le jour, assurant ainsi avec le service public, garant de l'intérêt général, pluralité et pluralisme. Radio-Gafsa, à titre d'exemple, a entamé des démarches pour s'assurer de tels relais, misant sur les programmes de formation-emploi décrétés par le gouvernement provisoire et les équipements techniques promis à la Radio tunisienne dans le cadre de la coopération internationale. Dans le même sens, la proximité, véritable enjeu de l'information régionale, appelle plus que jamais à l'intensification du réseau des correspondants locaux. Les gouvernorats de Gafsa, de Tozeur, de Kébeli, de Kasserine et de Sidi Bouzid qui comptent, à titre d'exemple, plus d'une cinquantaine de délégations, où vivent, en marge des grands flux de l'information et des réseaux de communication, pas moins d'un 1,5 million d'habitants, ne comptent qu'un nombre réduit de correspondants. Malgré les efforts consentis pour une meilleure présence sur le terrain, le droit des régions minières, rurales, frontalières ou montagneuses du Sud-Ouest et du Centre-Ouest du pays, pour ne citer que celles-ci, ne peut réellement être satisfait qu'avec un réseau étendu de correspondants assurant aux médias régionaux et nationaux publics et privés présence, rapidité et richesse, permettant, par la même voie, d'engager sur le marché de l'emploi des diplômés au chômage, en l'occurrence les spécialisés d'entre eux en journalisme. Jusqu'ici, des entraves d'ordre financier et administratif ont empêché la mise en place d'un tel réseau. Formation décentralisée La quête de la proximité serait une condition nécessaire mais non suffisante pour la démocratisation de l'information dans cette Tunisie profonde de l'après-14 janvier. Le besoin d'une formation de l'ensemble du personnel des médias régionaux, journalistes en tête, se fait de plus en plus sentir. Elle doit s'inscrire dans la durée et s'inspirer non seulement de l'ordre médiatique des pays établis dans la démocratie mais de ceux qui ont passé de manière réussie le cap de la transition démocratique. La nouvelle donne politico-médiatique appelle, en effet, un échange libre et équilibré avec de vrais partenaires de manière à répondre à une triple exigence. D'abord, il s'agit de démocratiser l'institution régionale de presse elle-même. Un certain nombre de questions se posent légitimement à cet égard. Comment un média, public plus particulièrement, peut-il se prendre en charge ? Comment substituer à la mentalité de l'exécuteur celle de l'acteur et du créateur ? Quelle est la part de la tutelle, de l'administratif et du rédactionnel dans ce processus ? Comment mettre en place un conseil de rédaction appelé à définir dans la concertation une ligne éditoriale définitivement débarrassée des directives, de l'autocensure et de toute forme, ancienne ou nouvelle, d'influence et de subordination ? Il va sans dire qu'un média ne trouvant pas rapidement ses marques démocratiquement et collectivement définies peinerait à s'acquitter de la mission qui est la sienne et à occuper sa place dans le nouveau paysage politico-médiatique. Sa transition d'un organe d'Etat à un média de service public est historiquement indispensable à sa survie et son épanouissement. Ensuite, il y a l'aspect du contenu et des formats adéquats au prochain rendez-vous électoral et à l'ensemble de la période de transition démocratique. Tout en faisant valoir leurs propres acquis, les professionnels des médias audiovisuels peuvent, à travers l'échange et la coproduction, acquérir le savoir et le savoir-faire nécessaires pour garantir à leurs grilles de programmes et leurs émissions équilibre et neutralité vis-à-vis des différents acteurs et protagonistes au double plan régional et national. Enfin, des sessions de formation peuvent améliorer les aptitudes des journalistes et des animateurs en matière de techniques de rédaction, d'interview, de reportage et de débat. L'épineuse question de la gestion du temps de parole sera ainsi maîtrisée. En réalité, les besoins en matière de formation sont d'autant plus importants qu'il ne serait pas utopique de prévoir la création d'un centre de formation dédié à l'information régionale et les médias de proximité. Eu égard à la faiblesse des traditions d'autoformation, à l'existence d'un seul centre de formation national (Capjc), une institution de formation régionale aurait le mérite de décentraliser, d'intensifier et de mieux orienter à moyen et à long terme l'encadrement du personnel médiatique appelé à se multiplier dans les prochains mois et les prochaines années. Gafsa, ville historique, ville universitaire, se situant à mi-chemin des autres villes abritant des radios régionales pourrait accueillir un tel projet, qui reposerait sur différentes formes de partenariat et qui serait ouvert à la fois aux médias publics et privés. Alors que la donne médiatique ne cesse de changer et d'évoluer, l'information régionale ne devrait plus continuer à être l'enfant pauvre du système médiatique tunisien. Sa promotion est indispensable pour accompagner et réussir l'œuvre de développement promise à la Tunisie profonde, là où la révolution tunisienne a pris naissance, là où des milliers de citoyens aspirent à une vie meilleure. Loin de tout régionalisme, la régionalisation de l'information basée sur la proximité et le professionnalisme ne peut que renforcer les chances de démocratisation et de crédibilisation de l'ensemble de la presse tunisienne.