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Mars 2010-2011, Monastir : la mémoire scandée en hommage à Abdessalem Trimèche
OPINIONS
Publié dans La Presse de Tunisie le 15 - 03 - 2011


Par Danièle SATMBOULI *
Lui n'était pas marchand de fruits à la sauvette, lui n'était pas diplômé. Installé était -il. Son échoppe, en fer, couleur bleu vif trônait face à un rond-point, entouré de trois palmiers et d'un cèdre, s'élançant, magnifiques à la conquête du ciel — de la vie sans doute. Ce lieu relie le quartier du R 6, l'accès à l'hôpital, la rue menant à la faculté de Médecine et au centre-ville, la petite boutique, dans sa visibilité extrême, accompagnant les exigences et goûts des passants et passantes : fricassées, sandwiches, bricks fort appréciés, paraît-il . Lui aussi avait dû se contenter un temps durant d'une brouette ou étaient entassés kakis et autres friandises destinés aux écoliers et écolières. Les enfants savaient qu'il serait présent. Ils s'empressaient autour de lui, lui toujours attentif et d'humeur gaie. Ils l'aimaient, il faisait partie de leur quotidien. Lui s'appelait Abdessalem Trimèche ……ou plutôt «Javel», affectueux surnom attribué par les femmes auxquelles il fournissait paquets de lessive, produits d'entretien de maison. Lui était marié, père de 2 fillettes. Il avait 31 ans.
Mars 2010 : un jour , le 3 mars précisément, excédé par le harcèlement des agents administratifs, lassé des atermoiements quant à ses multiples demandes de permis d'installation un jour acceptée, le lendemain refusée, il s'adressa directement, un bidon d'essence à la main, à l'autorité locale représentante des citoyens, élue à leur service : le maire. NON fut la réponse. Homme à nouveau nié dans ses droits, il s'empara de son bidon d'essence –objet de requête devenu sans objet. S'il lui restituait sa dignité, il le libèrerait du mépris dans un geste ultime : son corps en flammes jeté au visage de l'arrogance, des faveurs distribuées à ceux et celles qui disaient oui contre argent ou mouchardage, corps tout entier offert à ceux ou celles qui , comme lui Abdessalem, revendiquaient un droit légitime transformé en pratique arbitraire rcédiste .
A l'instant même se répandit dans la ville la nouvelle de cet acte d'immolation, les femmes au cœur de cette transmission, qui par portable, qui par visite à une parente, à une voisine. Transporté à l'hôpital pour grands brulés de Ben Arous fut-il.
A l'instant même, les forces de police quadrillèrent la ville : cars remplis de policiers stationnés le long du cimetière, voitures banalisées circulant dans les artères principales, les rues, policiers en civil patrouillant dans les moindres ruelles et recoins, à la Marina….. En ce mois de mars 2010, il faisait froid, il faisait triste, il faisait gris à Monastir. Ville sous contrôle selon les autorités. Soudain, de cette quiétude meurtrie, le 11 mars, par un après-midi vers 16h00, une immense clameur jaillit : une marée de jeunes, d'hommes, de femmes, tous mêlés, débouche de la rue Med Moalha puis de l'avenue Bourguiba portant en martyr le corps d'Abdessalem. La foule, rejointe par une multitude d'employés, commerçants, contourne le rond-point ou est érigée la statue du président défunt écolier. Dérision ou confusion : des jeunes arrachent une banderole accrochée là : y étaient inscrits ceci : «Commissariat au Tourisme». Le cortège s'immobilise devant le siège du gouvernorat : «Yahia Abdesssalem, yahia Bourguiba», slogans scandés à perte de voix puis le chant patriotique d'Abou Kacem El Chebbi s'envole, résonne et rebondit du cœur et de l'âme de tous et toutes comme à l'assaut du gouvernorat : hommage au martyr, appel déjà à un changement . Certains tentent de s'introduire à l'intérieur du bâtiment où se terre le pouvoir, d'autres arrachent les plantes et les fleurs du jardin l'entourant…vite repoussés par un cordon de police. Tout à coup, sous les slogans, sous les cris de révolte, un bruit de bottes : arrive en courant le long des remparts vers le siège du gouvernorat un régiment armé de BOP.
Il ne chargera pas :
Peut-être en raison de la présence de touristes par hasard témoins d'un évènement qui , rapporté , détruirait l'image d'une Tunisie vendue , placardée en Europe comme «pays du Jasmin», du bonheur chaque jour renouvelé , de la sécurité assurée.
Peut-être par peur de briser un tabou : matraque-mitraillette/ funérailles- fati'ha : le sacré désacralisé par le profane.
Sûrement grâce au nombre et à la détermination des manifestants/es et par crainte qu'une répression massive ne propage l'acte d'immolation d'Abdessalem à travers le Sahel et bien au- delà et n'entraîne déjà un vaste mouvement de contestation incontrôlable. Intense est l'émotion. Larmes souvent refoulées , le cortège funèbre , fier , compact, uni se remet en marche et se dirige vers le cimetière , slogans scandés à la mémoire d'Abdessalem et contre le pouvoir encore et encore.
Sur l'esplanade du cimetière attendent et accourent d'autres citoyens et citoyennes venus s'incliner devant le martyr, soutenir la famille et réciter la fati'ha.
Ultime hommage à leur ami, à leur frère : la nuit durant, les gens défileront devant sa tombe, le veilleront, femmes assises avec enfants sur les kiosques de l'esplanade, puis le lendemain, les jours suivants sous les regards inopérants des membres de la sûreté maintenus sur place pour créer un climat de tension et de terreur.
A la mère d'Abdessalem, lors de la remise du corps scarifié de son fils , il fut dit qu'il était «déséquilibré», celle-ci rétorqua que «c'était bien étrange car nul médecin n'avait décelé un quelconque symptôme de maladie mentale chez son fils»….. Femme courageuse rejetant dans l'ignoble et la moquerie les bourreaux d'Abdessalem…..Femme annonciatrice de tous les refus à venir de la propagande bénaliste sur les jours et nuits sanglants de Thala , Kasserine , Sidi Bouzid en décembre 2010. A son père et son frère, la présidence choisit les menaces de mort en guise de condoléances s'ils s'avisaient de s'exprimer. Et en effet, rares, brèves, seront les informations sur cette tragédie. Le régime peut respirer : le maire, le gouverneur aussi en relais exemplaires d'une occultation fabriquée.
Si , en janvier 2011, vous étiez à Monastir, vous auriez pu repérer une échoppe en fer : fenêtre fermée, porte close, elle est restée là , tache bleue sur fond de manifestations ou furent scandés dans un même élan d'espoir et de révolte les noms d'Abdessalem et de Bouazizi par les révolutionnaires passant devant pour rallier le centre-ville et le siège du pouvoir déchu. La petite échoppe disparaîtra bientôt emportée par le souffle de la Révolution pour faire place à une boutique en dur : permis d'installation enfin accordé le 28 janvier ….. Permis pour un avenir décent et digne pour la jeune femme d'Abdessalem et ses deux fillettes.
Abdessalem Trimèche, Mohamed Bouazizi, martyrs des diverses régions de notre pays, la Tunisie, vous avez brisé le carcan de la sujétion. Par votre acte d'insoumission — votre immolation —, geste de sublimation et de sacrifice, vous avez inauguré un rapport du corps au pouvoir : corps discourant- fût-ce même en silence et en souffrance, corps subversif porteur d'affirmation de soi, fondateur d'une parole libre infinie, et davantage d'un impensé : la Révolution émancipatrice de tout un peuple, le vôtre, puis d'un autre en Egypte et peut-être d'un autre en Libye et encore et encore.
Vous avez réinscrit l'individu, homme, femme au centre de la construction de son devenir au cœur même de son histoire de l'Histoire collective et universelle, votre identité nommée, scandée chaque jour par des milliers de manifestants et de manifestantes anonymes à travers le monde.
* (Habitante de Monastir et témoin, docteure en littérature comparée)


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