« On est sur la voie du modernisme, de l'ouverture et de plus en plus intégrés dans la société tunisienne pour répondre aux exigences de l'étape, sans perdre de vue notre ancrage historique dans l'identité arabo-musulmane », déclare Noureddine Bhiri. Et de promettre qu'on connaîtra un nouveau parti politique qui épouse son temps A quelque 72 heures de son 10e congrès, attendu du 20 au 22 de ce mois à Radès et à Hammamet, Ennahdha n'a pas fini de fignoler sa sortie du giron du religieux vers le politique. Dans la foulée de ces préparatifs, déjà engagés, le Centre des études stratégiques et diplomatiques (Csds) vient une nouvelle fois de pousser le débat sur l'historique du mouvement, son évolution dans le temps, ainsi que la nouvelle image qu'il tient à se donner de lui-même. Certes, faire peau neuve n'est pas aussi facile qu'on le croit. Un tel passage est qualifié par ses dirigeants d'un véritable tournant. Mais, qu'en pense-t-on ? Justement, le forum de dialogue, organisé hier à Tunis, par le Csds, s'est articulé autour des « choix de pensée et politiques d'Ennahdha aux yeux des politiciens et intellectuels », comme thème central qui sous-tend l'ensemble des interventions, avec deux axes majeures : la vision de réflexion du parti et son prochain projet politique et stratégique. A l'ouverture, l'ex-ministre des Affaires étrangères, et gendre de Rached Ghannouchi, potentiel candidat à sa succession à la tête du mouvement, M. Rafik Abdessalem, président dudit centre, a voulu, d'emblée, cadrer le contexte du congrès. Il a donné une lecture du parcours initiatique de ce parti à obédience islamique dont l'émergence remonte aux années 70, à l'ère Bourguiba. Depuis, il lui a fallu se chercher une place sur l'échiquier politique, n'ayant point lésiné sur les moyens d'accès dans la cour des grands. Et il a lui fallu attendre plus de quarante ans pour qu'il déguste les délices du pouvoir, dix mois après la révolution du 14 janvier 2011. Et le leader nahdhaoui de rentrer dans le vif du sujet, soulignant que ce 10e congrès constitue une étape cruciale dans l'histoire du mouvement. Ce dernier étant, selon lui, un phénomène sociopolitique en perpétuelle mutation. Aujourd'hui, a-t-il ajouté, cette mouvance est digne d'un profond diagnostic et d'une lecture critique qui soit constructive. Car, d'après lui, il est grand temps de rompre avec les postions figées et les jugements stéréotypés à l'égard de l'islam politique. « Qu'on arrête de le réduire à sa juste expression. Il nous faut l'aborder avec beaucoup de profondeur et de sérieux », indique-t-il. Un parcours du combattant C'est que les islamistes arrivent au pouvoir après avoir mené un long parcours du combattant. D'un simple groupe idéologique, prenant, au début des années 80, l'allure d'une « Tendance islamique », pour devenir, finalement, un mouvement politique aujourd'hui au deuxième rang de la coalition au pouvoir, le parti d'Ennahdha a su avancer à pas comptés. Du recul au conservatisme, tantôt renfermé, tantôt réservé, il tend, désormais, vers le progressisme et l'intégration sociale, en parfait diapason avec les exigences de son époque. Une sorte d'ouverture dictée par le cours du temps. De l'opposition face à la dictature à un parti qui gouverne, il y a raison de subir un tel changement, justifie le leader nahdhaoui. Pour finir, il n'a pas manqué d'insister que le défi majeur du parti sera plutôt d'ordre social et économique, à travers la promotion du développement régional et l'amélioration des conditions des catégories défavorisées. Sa référence demeure toujours islamique, réincarnant les constantes politiques, dans une nouvelle tendance alliant identité et modernité. Bref, dit-il, un parti civilisé, démocratique, ouvert, qui croit à l'Etat-nation et aspire à renforcer les dimensions arabo-maghrébines. Un tournant stratégique D'ailleurs, comme l'a relevé M. Ridha Driss, membre du Conseil de la choura d'Ennahdha, le parti a commencé, depuis deux ans, à préparer sa mutation. Il a, déjà, procédé à certaines révisions, afin de mieux repartir du bon pied. Son mot d'ordre n'est autre que s'orienter vers un tournant stratégique. Cela se résume, selon lui, dans trois choix du mouvement. Il s'agit, somme toute, de passer du global au spécifique, du référentiel du culte à celui des valeurs et significations, ainsi que du contestataire et de la lutte vers l'édification démocratique et civilisationnelle. Ces choix sont essentiellement à l'origine deux motivations aussi subjectives qu'objectives. Certes, la révolution et la constitution ont profondément impacté son processus et sa vision des choses, dans un nouveau contexte marqué par une large marge de liberté et d'ouverture. Autant de principes et d'idéologies sur lesquels vont se pencher les congressistes nahdhaouis, à partir de ce vendredi. Le but étant de concevoir un remake politique qui aurait tranché sur la séparation entre la prédication et le politique. Ce sur quoi M. Zouhair Ben Youssef s'est attardé, se focalisant sur la nature du discours, du contenu référentiel et les caractéristiques de ce projet politique. Il a étayé ses analyses par une série de dualités entre le voulu et le diktat, le traditionnel et le modernisé, l'ouverture et l'équilibré, la jurisprudence et le cognitif humain. Ennahdha doit se convertir d'un parti classique à un parti politique démocratique et plus moderniste. Sans pour autant cacher ses craintes de le voir adopter des choix basés sur des satisfecit et non pas sur un discours stratégique. C'est là une fluctuation entre le déclaré et le non-dit. De toutes les façons, renchérit-il, l'on doit se demander si Ennahdha réussira sa mutation et rompra ainsi avec l'islam radical, et encore plus loin des Frères musulmans. Où va-t-on, alors ?, s'interroge M. Noureddine Bhiri, un des leaders du parti. « On est sur la voie du modernisme, de l'ouverture et de plus en plus intégrés dans la société tunisienne pour répondre aux exigences de l'étape, sans perdre de vue notre ancrage historique dans l'identité arabo-musulmane.. », ainsi s'exprime-t-il. Et de promettre qu'on connaîtra un nouveau parti politique qui épouse son temps et fait la part des choses, en allusion à la séparation entre le religieux et le politique.