La pression galopante sur les ressources hydriques dans le monde mais aussi en Tunisie a poussé l'Etat à réviser le Code des Eaux datant de 1975. Un projet de loi a, d'ailleurs, été soumis à l'Assemblée des représentants du peuple (APR) en 2019, et devrait être examiné par la Commission de l'agriculture, de la sécurité alimentaire, du commerce et des services avant de le voter en plénière. L'objectif est clair : rationnaliser, protéger les ressources en eau de la Tunisie et garantir le droit des Tunisiens à l'accès à l'eau. Le droit à l'eau a, en effet, été constitutionnalisé en 2014. Pourtant, l'accès à l'eau potable demeure une problématique majeure, en particulier, en milieu rural où le raccordement au réseau de la Sonede est inexistant pour des centaines de milliers d'habitants, alors que les ressources hydriques se font de plus en plus rares. Selon le rapport national du secteur de l'eau (2017), en 2016 « les lâchers effectués au niveau des barrages, pour les besoins en eau potable et d'irrigation, ont été́ supérieurs aux apports (+10%). Les eaux souterraines et les nappes continuent à subir une surexploitation croissante (+190 Mm3) par rapport à 2015 ». Une irrégularité due, d'après le même rapport, à « l'effet conjugué du rationnement imposé par la sècheresse pour l'irrigation par les eaux de surface, de l'accroissement des besoins en eau des cultures et de la prolifération continue des forages illicites. L'absence des moyens de contrôle du domaine public hydraulique est aussi un facteur important pour cette surexploitation ». La stratégie de mobilisation des ressources en eau en Tunisie élaborée par le ministère de l'Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, confirme, elle, la faiblesse des ressources en eau renouvelables et explique leur variabilité spatio-temporelle par la position géographique de la Tunisie et l'influence de deux climats ; méditerranéen au Nord et saharien au Sud. En bref, la situation est alarmante et le retard accusé dans l'adoption du nouveau Code des Eaux n'arrange pas les choses. Encore faut-il que ce projet de loi puisse changer la donne et préserver ainsi le droit des générations futures à cette ressource. Mais que stipule-t-il exactement ? Dans son article premier, le projet de cette loi organique insiste, entre autres, sur : - le droit à l'eau - la bonne gouvernance de l'exploitation des ressources hydriques sur la base de la justice sociale - le renforcement de la décentralisation et de l'équilibre entre les région suivant le principe de la discrimination positive - la consolidation de la souveraineté nationale sur les ressources en eau et leur gestion
Or, dans son article 3, cette même loi stipule, indistinctement, que les autorités compétentes garantiront le droit des citoyens à l'eau potable et les services y afférents, uniquement, dans la mesure du possible. Nos gouvernants sont, certes, ambitieux, mais ils demeurent réalistes. Et pour cause, la vétusté des réseaux de distribution de l'eau potable et l'incapacité de la Société nationale d'exploitation et de distribution des eaux (Sonede) – endettée jusqu'au cou – à renouveler ses réseaux. Les tarifs appliqués aux services liés à l'eau potable sont, notons-le, fixés – en fonction des coûts de remplissage et de distribution – sur décision du ministre chargé des Eaux en collaboration avec le Conseil national des Eaux et l'organisme régulateur compétent, selon l'article 61. Plus loin, dans l'article 27, le projet de loi donne au ministre chargé des Eaux, les pleins pouvoirs en termes de gestion de ce bien public qu'est l'eau, notamment, l'exploitation des eaux minérales. Selon l'article 43, les conditions d'exploitation et de gestion des eaux minérales sont soumises à un décret gouvernemental sur proposition du ministre chargé des Eaux. L'octroi de franchise pour l'exploitation des eaux de sources, minérales et tout type d'eau pouvant être embouteillée (…) revient, aussi, au ministre chargé des Eaux, selon l'article 52 de ce projet de loi.
Ce projet de loi a, par ailleurs, négligé certains aspects. Selon WWF Afrique du Nord, le « futur » Code des Eaux « n'intègre pas la dimension écologique, puisque les besoins en eau des écosystèmes ne sont pas pris en compte dans la planification ». De même pour la protection des zones humides. D'après WWF Afrique du Nord, « le code forestier n'est pas précis à ce sujet. Il ne prévoit dans ses articles 225 et 226 que la protection de la flore et de la faune sauvages des zones humides à l'exception de la faune piscicole et l'interdiction du déversement de produits toxiques et polluants, liquides, solides ou gazeux dans les zones humides ainsi que le comblement ou l'assèchement d'une zone humide sauf pour des raisons impérieuses d'intérêt national et après l'avis conforme du ministre chargé des forêts ». Aussi, selon la même source, « le caractère non ou peu renouvelables des ressources souterraines contenues dans les aquifères du SASS, un système partagé avec la Lybie et l'Algérie est complètement ignoré dans le projet de texte du code des eaux soumis à l'ARP. Ces ressources sont fondamentales pour la durabilité des écosystèmes oasiens gourmands en ressources en eau et pour lesquels il n'y a aucune autre alternative d'alimentation ». Des alinéas qui ne peuvent que soulever des interrogations surtout que ce projet de loi ne précise pas les modalités de contrôle de l'exploitation ou plutôt la surexploitation de la nappe phréatique par les usines d'embouteillage des eaux minérales.
Des interrogations qu'un collectif d'associations tunisiennes et internationales – dont React, WWF et Article 19 – n'a pas manqué de mentionner dans un manifeste publié le 1er juin 2020. Ces organisations ont insisté, entre autres, sur la nécessité d'évaluer : - la conformité de ce projet de loi avec la Constitution tunisienne et les conventions internationales. - la durabilité des dispositions de ladite loi - la conformité du projet aux normes d'un texte de loi (lisibilité, applicabilité, et harmonie avec les lois en vigueur) - l'inclusion des mécanismes démocratiques nécessaires à la participation citoyenne dans la gestion de cette ressource - la consécration des principes de la transparence et de l'éthique - les modalités de mise en œuvre du projet et des éventuelles difficultés - les potentiels conflits d'intérêts qui pourraient immerger
Le manifeste souligne, par ailleurs, l'urgence, pour le citoyen tunisien, « de se réapproprier son rôle de premier responsable quant à la pérennité de ce patrimoine en s'impliquant dans sa bonne gestion ». Ce projet de loi subira, probablement, des modifications durant son examen par la Commission de l'agriculture, de la sécurité alimentaire, du commerce et des services.