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La démocratie tunisienne en danger
Publié dans Business News le 06 - 11 - 2019

Soit la Seconde République avorte, soit elle est réformée en profondeur : les mesures cosmétiques ne feront que prolonger l'agonie.
Suite aux dernières élections présidentielles et législatives d'octobre 2019, la Tunisie marque un pas en avant significatif dans le cadre de sa transition démocratique. Ces élections révèlent une relative mais toujours fragile avancée dans le processus d'apprentissage de la démocratie. Celle-ci n'est jamais acquise, elle est vulnérable et un retour en arrière toujours possible. En effet, la démocratie est d'abord et avant tout une culture qui doit diffuser et circuler au sein de l'ensemble du corps social, l'objectif ultime étant l'édification d'un Etat de Droit protecteur des libertés. A titre illustratif, ce processus a pris des siècles en France et au sein des grands pays dits démocratiques eux-mêmes aujourd'hui en crise. Le concept même de démocratie, concept à géométrie variable ne pouvant être imposé et plaqué au nom d'un certain universalisme sur des réalités locales complexes, est bousculé par la montée en puissance de mouvements réfractaires, réactionnaires, religieux ou populistes. Cette avancée, érigeant la Tunisie en singularité et en îlot démocratique dans son voisinage, l'expose à des risques et à des menaces croissantes en provenance d'acteurs intérieurs et d'acteurs extérieurs soucieux que Tunis ne parvienne pas à trouver son point d'équilibre stratégique. Sans aspirer à s'ériger en un quelconque modèle ou à exporter son « modèle démocratique », la Tunisie, du fait même de son existence en tant que démocratie en gestation, constitue une menace existentielle pour des acteurs étatiques et non étatiques dans son voisinage et au Moyen-Orient. Dans ce cadre, il appartient à nos décideurs de tenir compte de cet environnement géopolitique en ébullition et de faire preuve de réalisme, de responsabilité, de modestie et de lucidité afin de pas exposer le pays à des stratégies malveillantes. La Realpolitik doit prévaloir. Par ailleurs, cette avancée démocratique est confrontée à une menace majeure : elle peut être compromise et remise en cause à tout instant du fait de la grave crise économique et sociale à laquelle est confrontée le pays. Si cette crise n'est pas surmontée dans les meilleurs délais avec une prise de conscience des élites politiques et économiques, l'expérience démocratique tunisienne échouera.
En effet, crise politique se conjuguant à une crise économique et sociale inédite dans l'histoire de la Tunisie, exacerbation des tensions sociales sur fond de baisse significative du pouvoir d'achat, montée en puissance de logiques tribales, claniques et locales marquant une distanciation de plus en plus prononcée entre le peuple profond et les élites induisant une rupture de confiance envers l'Etat et ses institutions, jeunesse désœuvrée en perte de repères sur fond de délitement du secteur éducatif, pressions accrues exercées par les bailleurs de fonds internationaux, manque de visibilité et de stabilité institutionnelle, émiettement et recomposition de la scène politique marquée par des luttes intestines quant à la formation du prochain gouvernement au détriment de la sortie de crise du pays, absence d'une vision claire, globale, inclusive et en mesure de fédérer l'ensemble des forces vives du pays autour d'un avenir partagé, risque sécuritaire incarné notamment par le terrorisme et le crime organisé transnational, poids de l'économie informelle et évolution dans un voisinage stratégique tourmenté, voire hostile, constituent autant d'éléments d'incertitude et de volatilité devant interpeller les autorités tunisiennes. Plus que jamais, stratégie, prospective et vision combinant les impératifs du court et du moyen terme doivent guider la gouvernance et les politiques publiques. Il n'est plus acceptable de naviguer au gré des vagues et de gérer au jour le jour dans l'urgence en subissant les évènements. Plus que jamais, il convient d'anticiper les crises ou opportunités par la valorisation de l'attitude prospective et de l'anticipation opérationnelle en privilégiant la pro-activité. Soit nous sommes maîtres de notre destinée, des acteurs de l'Histoire, soit nous n'en sommes que des objets.
En ce sens, divers écueils sont susceptibles de compromettre l'avancée de la Tunisie vers la démocratie :
Un voisinage tourmenté et instable
Le bassin méditerranéen, espace de concentration de nos échanges économiques, est le reflet des bouleversements politiques et stratégiques caractéristiques de la nouvelle configuration des rapports de puissance mondiaux. L'UE, principal partenaire économique de la Tunisie, semble s'enfoncer un peu plus chaque jour dans la crise risquant à terme la marginalisation au rang de périphérie de continent eurasiatique. Quel sera l'avenir de la Tunisie si l'Europe devient une périphérie du monde ? Vers quelle Europe allons-nous : élargie ou contractée, à la carte, à géométrie variable ou fédérale ? Dynamique ou minée par les politiques d'austérité et les déficits criants ? Ouverte sur le monde ou forteresse assiégée ? Une Europe incarnant un pôle de puissance en retrouvant son autonomie stratégique, sa liberté de manœuvre et des capacités de défense crédibles, une Europe s'arrimant à la Russie et s'ouvrant sur le monde ou une Europe vassale des Etats-Unis ? La Tunisie devra se positionner à l'égard de cette Europe en gestation. A cette fin, il conviendra d'être en mesure d'anticiper les futures évolutions qui dessineront l'Europe de demain et de manœuvrer habilement afin de se positionner au mieux de nos intérêts stratégiques et d'en tirer le meilleur parti.
Le Grand Maghreb, travaillé par des forces centrifuges et fragilisé par les événements secouant le Sahel africain, peine à émerger et risque la dilution dans son essence géopolitique. En effet, les visions des pays maghrébins sont dispersées et marquées par des tensions intérieures, des problèmes de stabilité, de modernité et de voisinage : ils ne se perçoivent pas à travers un ensemble régional stabilisé et demeurent otages de rivalités et de conflits gelés, larvés ou potentiels non encore surmontés. Chaque pays, en fonction de ses intérêts stratégiques, joue son propre jeu : les trajectoires stratégiques ne se complètent pas, elles se croisent, voire se neutralisent suivant une trajectoire en silos.

L'enlisement du projet de Grand Maghreb, paralysé par des ambitions géopolitiques inconciliables et des conflits non surmontés, ouvre la voie à d'autres acteurs décidés à peser sur les équilibres stratégiques du théâtre maghrébin : forte présence des Etats-Unis avec des projets empiétant sur le champ d'influence traditionnel des pays européens de l'arc latin et aspiration à évincer les puissances rivales ; percée géopolitique de la Chine avec pour objectif de se positionner en acteur significatif en Méditerranée et en Afrique du Nord et retour en force de la Russie en Méditerranée, au Maghreb et en Afrique. Inde, pays européens en rivalités (Allemagne, France, Italie, Grande-Bretagne, Espagne, etc.), Japon, Corée du Sud, Iran, Turquie et pays du Golfe (Arabie Saoudite, EAU, Qatar, etc.) déploient des stratégies de positionnement, d'influence et d'évincement de rivaux, ajoutant à la complexité et exacerbant les tensions et risques de crises ou conflits. A terme, une redéfinition de la carte des influences et des ambitions au Maghreb est à prévoir.
En effet, quel ordre maghrébin émergera ? Cette problématique commandera le présent et l'avenir de la stabilité et de la sécurité de la Tunisie. Quel avenir pour la Libye, voisinage immédiat de la Tunisie ? Quelles logiques géopolitiques commandent l'avenir de ce pays ? Quelles dynamiques entre local, régional et international ? Quel sera l'understanding entre grandes puissances et puissances régionales qui émergera quant à l'exploitation des ressources pétrolières et gazières du pays ? Cet understanding préservera-t-il l'intégrité territoriale de la Libye ou iront nous vers un émiettement du pays en féodalités territoriales sous contrôle d'acteurs étrangers exploitant les ressources ? Quel impact sur la Tunisie, sa stabilité et les entreprises tunisiennes implantées en Libye sans compter nos populations frontalières ? Comment se positionner afin de peser lors de la reconstruction du pays et se prémunir des menaces projetées par cet Etat failli ? Toute prise de position devra être soigneusement étudiée en tenant compte d'une multitude de variables fortement évolutives. Une veille stratégique et une capacité d'analyse doivent nourrir une fine intelligence de la situation libyenne déterminant notre posture stratégique à l'égard de ce pays. Le bombardement par l'aviation du maréchal Haftar d'un camp et d'un convoi à une cinquantaine de kilomètres de la frontière tunisienne doit sonner comme un avertissement. La Libye, second partenaire économique de la Tunisie après l'UE et la Tunisie ont une destinée commune.

Les événements en cours de radicalisation en Algérie, inédits du fait de leur ampleur, sont appelés à dessiner les contours de l'Algérie de demain et à reconfigurer les scènes maghrébine, méditerranéenne et sahélienne. Une fine compréhension des dynamiques à l'œuvre s'impose afin de ne pas se laisser abuser par l'intensité du flux d'informations et l'accélération continue des évènements révélant une véritable rupture dans le cours de l'histoire de l'Algérie et de la région. Les contours de cet après s'esquissent progressivement sous nos yeux avec leur part d'ombre et de lumière, de réalité et de manipulation, de jeu complexe des acteurs internes et externes, etc. La forte volatilité et l'incertitude croissante déroutent analystes et stratégistes, y compris les plus aguerris. Néanmoins, un regard géopolitique permettant de prendre de la hauteur et de remettre en perspective les événements et les enjeux s'impose plus que jamais. Partons d'un postulat : la stabilité de la Tunisie et la pérennité du processus démocratique tunisien sont étroitement corrélés à la stabilité de l'Algérie : « les événements en cours en Algérie représentent une question de vie ou de mort non pas simplement pour le peuple algérien frère et l'Algérie mais pour le peuple tunisien et la Tunisie plus globalement ».
La scène algérienne est caractérisée par une forte singularité relevant de la sociologie politique algérienne héritée de la guerre de libération nationale. Pour les autorités tunisiennes, une veille stratégique rigoureuse et quotidienne s'impose afin de plonger dans la complexité et l'opacité algériennes et anticiper les futures évolutions via la mise en place d'un tableau de bord de veille et d'anticipation de situations que nous pourrions qualifier de « seuil d'alerte sécuritaire » pour la Tunisie. Tunis doit se préparer à tous les scénarios afin de ne pas subir une éventuelle déstabilisation de l'Algérie qui placerait le pays, compte tenu de la situation en Libye, dans une situation à la libanaise hypothéquant la consolidation de son processus de transition démocratique. Des mesures de réassurance à l'égard des autorités algériennes participeraient à protéger la Tunisie de tout effet retord toujours possible.

Ces plaques tectoniques entrant en frottement dans notre voisinage immédiat impactent, par les secousses induites, notre sécurité nationale. Il conviendra pour le Président de la République d'être en mesure de déchiffrer le jeu des acteurs régionaux et le jeu des puissances internationales déployant des dispositifs diplomatiques et militaires afin de peser sur la future carte maghrébine. Les événements en cours en Libye mais surtout en Algérie doivent interpeller : ils doivent être la priorité du chef de l'Etat. S'en tenir à un relatif attentisme et au concept de neutralité positive relève d'un autre temps. La jeune démocratie tunisienne évolue dans un environnement chargé de menaces et hostile. Il convient dès lors d'en saisir les ressorts profonds, de les anticiper et de se mouvoir au mieux de nos intérêts stratégiques.
Ces évolutions posent la problématique de la cohérence d'ensemble de notre posture stratégique et de l'adéquation des moyens. Avons-nous défini cette posture stratégique ou aspirons-nous, tel un bateau ivre, à errer au gré des vagues et de courants de plus en plus puissants ? Un diagnostic stratégique exhaustif isolerait ce qui est d'ordre structurel et ce qui est d'ordre conjoncturel ; ce qui relève des permanences et ce qui relève des mutations. Il proposerait une analyse prospective des transformations susceptibles d'affecter le contexte stratégique tunisien à court, à moyen et à long terme. Comment se positionner en cas de retournement d'alliance en Algérie redessinant la carte des rapports de force au Maghreb ? En déceler les signaux faibles et en analyser les conséquences s'érigent en priorité.
Une géopolitique intérieure fragmentée et contrastée révélant de profonds clivages
A ce stade, la géopolitique intérieure tunisienne est bouleversée, mouvante, turbulente et caractérisée par des lignes de failles et de vulnérabilité offrant des angles d'attaque à des acteurs malveillants locaux et extérieurs ne manquant pas de les instrumentaliser. Dans un certain sens, soit la seconde république avorte, soit elle est réformée en profondeur : les mesures cosmétiques ne feront que prolonger l'agonie. Trois lignes de fracture apparaissent centrales : Nord/Sud et régions côtières et hinterland ; Elites et peuple profond ; Conservateurs et Modernistes.

A titre illustratif, il convient également de mentionner :

La confiscation de ressources stratégiques du pays, à l'instar du phosphate, puis du pétrole et très probablement à l'avenir de l'eau, portant gravement atteinte à l'économie nationale, révèle l'accumulation de frustrations et de tensions locales et régionales issues de la volonté d'une élite et des gouvernants de préserver à tout prix le modèle économique héritée de Carthage. De manière schématique, ce modèle est fondé sur l'accaparement, à moindre frais, par les régions côtières tournées vers la mer et donc la richesse, des ressources humaines et des richesses du « hinterland » tunisien. Toutes les politiques engagées depuis la révolution de 2011, qui fut un coup de tonnerre et un signal d'alerte, n'ont œuvré qu'à sauvegarder ce modèle moyennant quelques ajustements de façade. N'est-il pas temps de songer à l'élaboration d'un nouveau modèle de développement économique rompant avec le passé, préservant le système tout en répondant aux enjeux et défis du présent et de l'avenir ? Une vision prospective globale s'impose plus que jamais. Une véritable réflexion de fond, sans dérobade et sans tabous, devra être menée avec lucidité et pragmatisme. Dans un monde caractérisé par son affolement et son imprévisibilité, il s'agira, non pas de « rafistoler les modèles du passé », mais d'innover, de penser et réfléchir autrement sans pour autant « renverser la table ». La bascule dans l'inconnue est sans lendemain.
La montée en puissance des trafics en tous genres et du crime organisé transnational, en mesure de s'assurer de solides relais locaux, a abouti à la cristallisation d'une ligne horizontale, contrastant avec la verticale caractérisée par nos relations à l'Union Européenne, reliant la frontière libyenne à la frontière algérienne. Cette ligne virtuelle brisant en deux la Tunisie est caractérisée par la généralisation des trafics et de l'économie informelle échappant ainsi, dans une grande mesure, au contrôle de l'Etat sur le plan économique. Dès lors, nous assistons à un renversement de souveraineté économique qui pourrait ouvrir la voie, à la faveur du jeu d'acteurs internes et des stratégies malveillantes d'acteurs externes, à un renversement de souveraineté politique. La carte électorale des dernières élections confirme le clivage Nord-Sud et régions côtières et hinterland déjà constaté lors des élections de 2014. La cohésion et la souveraineté nationales sont plus que jamais exposées à de multiples risques et menaces. Toute dynamique de fragmentation du tissu social et économique tunisien et d'affaiblissement du pouvoir de l'Etat doit être rapidement contenue et « étouffée dans l'œuf » ;

L'aveuglement et les luttes intestines de la classe politique tunisienne frôlant l'indécence face à un peuple de plus en plus impatient révèlent une crise ou un fourvoiement de la démocratie naissante en Tunisie ;

La constitution de 2014 ayant abouti à un régime de partis a épuisé ses vertus. Le fonctionnement des institutions, notamment centrales, ne peut permettre, en l'état, d'initier les réformes indispensables au redressement économique et social du pays. Trois pilotes dans un avion en perdition n'ont jamais été en mesure d'éviter le crash. La Tunisie, ingouvernable à l'image de la IVème République française, navigue ballotée au gré des vagues, sans vision, ni cap. Une réforme de la constitution de 2014 et de la loi électorale s'érige en priorité nationale absolue ;

L'incapacité des dirigeants depuis janvier 2011 à construire une vision d'avenir conjuguée à des scénarios de sortie de crise suffisamment inclusive et fédératrice pour insuffler un élan national permettant d'amorcer une dynamique vertueuse de sortie de la crise économique et sociale hypothèque l'avenir du pays. Au contraire, l'aggravation de la pauvreté et du chômage, la détérioration du pouvoir d'achat d'une classe moyenne de plus en plus paupérisée, ont ébranlé la confiance du peuple envers ses dirigeants. L'attente est devenue inacceptable et insupportable face à une classe politique se limitant à énumérer une série de promesses non tenues. Certains n'ont pas pris la juste mesure du fossé grandissant aboutissant ainsi aux résultats des élections présidentielles et législatives marquant le réveil du peuple profond aspirant à être étroitement impliqué dans le processus décisionnel au risque de « renverser la table ». L'appel à la dignité, le « dégagisme », le succès du slogan « le peuple veut », l'aspiration à la justice et à la lutte contre la corruption s'inscrivent dans cette dynamique de fond. Le peuple profond n'est plus disposé à tergiverser et s'impatiente. Pire, certains perdurent dans leur aveuglement coupable ou feignent de ne rien voir, l'essentiel étant de demeurer au pouvoir. Pourtant, si « la table est renversée », la Tunisie s'expose à des lendemains obscures scellant le sort de la transition démocratique ;

Une jeunesse désœuvrée et sans perspectives d'avenir prenant de plus en plus ses distances avec la classe politique, les institutions de l'Etat, l'Ecole, l'Université et les référentiels classiques pour opter soit pour « les paradis artificiels », soit les terres du jihad, soit les théories révolutionnaires ou anarchistes. L'incapacité à ériger cette jeunesse au cœur des politiques publiques en lui ouvrant des perspectives d'avenir et en lui redonnant foi et espoir en leur patrie, tels sont les éléments non exhaustifs justifiant son attirance pour les mouvements extrémistes, qu'ils relèvent du divin ou de l'anarchisme. « A 20 ans, ne croyons-nous pas que nous sommes en mesure de refaire le monde, de renverser la table ? ». Cette dynamique dopée par la formidable puissance des outils de la révolution numérique et digitale conjuguée aux subtiles théories de manipulation des foules va continuer à redessiner la carte socio-politique tunisienne au risque de nous exposer à de profondes ruptures susceptibles de menacer la transition démocratique et la sécurité nationale du pays ;

Sommes-nous en mesure d'apporter une réponse sans ambiguïté à cette interrogation qui constitue le socle de la nation tunisienne : « qu'est-ce qu'être tunisien aujourd'hui ? ». Quel récit national avons-nous en partage ? Ce récit national constitue le substrat et la colonne vertébrale de la nation tunisienne. Un épais brouillard l'enveloppe progressivement dans l'indifférence des uns et les certitudes trop ancrées des autres. Le résultat des élections ne fait que révéler l'épaisseur grandissante de ce brouillard jetant un trouble sur l'identité du tunisien. Dans ce contexte, de nouvelles formes de contestation émergent et bousculent les schémas traditionnels en optant pour des modalités d'expression et d'action s'affranchissant des cadres traditionnels. « L'archipellisation des sociétés » marquée par l'effritement du référentiel commun et l'atomisation du corps social est une dynamique planétaire qui vient de frapper durement la jeune démocratie tunisienne en gestation. En géopolitique, un concept est au cœur de toute analyse : le concept de représentation, c'est-à-dire, la manière dont un acteur local ou international perçoit son environnement, se le représente, défend une thèse et ses croyances, etc. Quelles sont les représentations portées par la jeunesse tunisienne ? Pourquoi un tel vote ? Quels sont ses ressorts ? Est-ce une dynamique de fond et durable marquant une rupture ? Il conviendra d'être en mesure de décortiquer tous les éléments qui composent ces représentations, leur articulation, la manière dont elles sont utilisées, leurs perspectives d'évolution dans la dynamique d'une rivalité de pouvoir s'installant durablement sur le territoire tunisien. Un observatoire de la jeunesse fédérant l'ensemble des acteurs impliqués devrait être mis en place afin de répondre efficacement à ces interrogations ;
La Tunisie de 2019 est complexe, fragmentée, contradictoire, contrastée et marquée par de profonds clivages[1]. Face à cet état de fait, les grilles d'analyse simplistes s'avèrent réductrices et dangereuses. Il convient de plonger dans notre complexité en valorisant les études stratégiques, seules à même, via les approches participatives et inclusives associant les forces vives du pays, d'apporter les éclairages qui font défaut. Il nous appartient de « casser les modèles mentaux », tout en sauvegardant le système, et de bâtir, en impliquant l'ensemble des forces motrices du pays, une vision stratégique d'avenir pour la Tunisie suffisamment innovante, fédératrice et inclusive, pour insuffler un élan national vertueux brisant les idéologies révolutionnaires nihilistes tout en rompant avec le passé. Redonner espoir à la jeunesse tunisienne devra également être érigé en axiome dominant.

Mehdi Taje, Géopoliticien et prospectiviste, Directeur de Global Prospect Intelligence
[1] Pour de plus amples détails, lire l'excellente tribune de Mustepha Benchenane, RDN, « Les Tunisiens ne s'en sortiront pas tout seuls », tribune N°1123, 4 novembre 2019.


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