Par ces temps d'incertitude, le métier de prévisionniste n'est pas une sinécure, ni à l'abri de la critique. Le récent différent entre le gouvernement et l'Institut national de la statistique (INS) sur les résultats de la croissance 2023 en fut une illustration. Une nouvelle polémique surgirait-elle à l'occasion de la publication par les deux institutions de Bretton Woods, que sont le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM), de leurs respectives perspectives économiques mondiales ? On pourrait aisément s'y attendre tant les écarts de prévisions sur l'évolution de la situation économique en Tunisie durant la période à venir établies par les deux organisations multilatérales de financement sont significatifs. Selon le FMI, la Tunisie devrait enregistrer un rythme de croissance annuelle moyen de 1,8% durant la période 2024-2026 alors que la BM estime ce rythme à 2,3%. Cela représente un-demi-point de pourcentage de croissance par an. Ce qui est loin d'être négligeable surtout lorsqu'on se situe à un niveau de croissance aussi bas. Le gouvernement, pour sa part, prévoit un taux de croissance de 2,1%, à mi-chemin entre les estimations des deux institutions financières. Au demeurant, chez les uns comme chez les autres, la croissance serait molle, ne permettant pas de répondre efficacement aux défis qu'affronte l'économie du pays et particulièrement celui de ses finances publiques. L'écart d'estimation du taux de croissance renverrait probablement à une appréciation différenciée du FMI et de la BM sur l'évolution des déterminants de cette croissance que sont l'investissement et les échanges extérieurs. Selon le Fonds, le taux d'investissement demeurerait très bas durant la période 2024-2026, autour d'une moyenne de 12,3% par an alors que ce taux atteint généralement le double pour les pays émergents comme le notre. Ainsi, chaque année, le pays perdrait du terrain par rapport à ses concurrents. Sur le front de l'inflation, la décélération du rythme de hausse des prix serait moins forte pour le FMI en comparaison avec les estimations de la BM. La moyenne annuelle d'inflation durant la période de référence serait de 7% pour l'un et de 6% l'autre. Cependant, la plus importante divergence entre les deux institutions réside dans l'évolution des échanges extérieurs du pays durant la période à venir. Pour le FMI, les exportations de biens et services évolueraient à un rythme annuel moyen de 1,3% durant les trois prochaines années. La Banque mondiale, quant à elle, estime que ce rythme serait deux fois et demi plus rapide à 3,4% l'an. Il en est de même des importations de biens et services avec une progression annuelle moyenne de 5,2% pour le FMI et seulement 3,2% pour la BM. Du coup, l'impact de telles prévisions sur les finances publiques est diversement apprécié par les deux institutions financières multilatérales. S'agissant du solde budgétaire, il afficherait un déficit de 4,8% à la fin de 2026 selon le Fonds alors que la Banque mondiale ne l'estime qu'à 3,2% du PIB. De son côté, le gouvernement a fixé un objectif de 3,9% de déficit pour l'exercice budgétaire 2026. Curieusement, en ce qui concerne la dette publique, les prévisions du Fonds sont à l'inverse de celles de la BM. L'un estime que l'encours de la dette atteindrait 79,1% du PIB en 2026 alors que l'autre l'a estimé à 81,5% du PIB. C'est chacun dans sa propre perspective qu'ils abondent au niveau du solde de la balance des paiements courants et des réserves en devises du pays. Selon le FMI, le déficit des paiements courants équivaudrait à 3,9% du PIB en moyenne sur la période de 2024-2026 tandis que la BM a prévu une moyenne de déficit de 2,4% du PIB durant la même période. L'écart d'estimation représente une enveloppe de près de 4,5 milliards de dinars sur la période. Ce qui implicitement ne serait pas sans effets sur les réserves en devises du pays. Les deux institutions prévoient une baisse du niveau des réserves du pays. Le Fonds estime que celles-ci perdraient environ 13 jours d'importations entre 2024 et 2025 alors que la Banque mondiale ne prévoit une baisse que de 3 jours d'importations. Maintenant, qui dit vrai ?