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Sens critique ou sens unique ?
Publié dans Business News le 30 - 04 - 2024

En dépit de mon attachement à la philosophie sans laquelle le monde serait inintelligible, sans citer Socrate, le père de la pensée critique, ni Descartes, ni Ghazali, ni, plus récemment Derrida, je vais tenter d'esquisser quelques réflexions sur l'importance du sens critique comme un enjeu de société et plus particulièrement un enjeu politique.
Pour faire simple, on peut sommairement diviser les sociétés mondiales en deux catégories distinctes, les sociétés pourvues de mécanismes critiques et les sociétés qui en sont dépourvues. Les sociétés n'étant jamais homogènes, cette classification n'obéit pas à des règles empiriques et se contente d'une dichotomie réductrice, mais néanmoins au service d'une démonstration grand public.
Cette classification n'est pas stable, car les sociétés ne sont pas figées et évoluent dans le temps et l'espace.

Qu'est-ce que le sens critique ?
Certains l'appellent l'esprit critique ou la pensée critique (critical thinking), je privilégie personnellement, le terme « sens » parce qu'il est polysémique et permet d'envisager la question aussi bien en relation avec la raison et ses mécanismes empiriques qu'avec l'esprit qui traduit une attitude et une tournure systématique de l'esprit.
Le sens critique est d'abord une discipline qui consiste à soumettre à l'examen critique tout phénomène observable et mesurable sans porter de jugement de valeur. La critique permet de briser les tabous, de dire l'indicible, d'envisager l'inenvisageable, de rendre intelligible un monde trop souvent gouverné par les légendes, les superstitions et la binarité (vrai/faux, nous/autres, civilisé/sauvage, etc).
Dans sa déclinaison scientifique, le sens critique se forge selon une méthodologie basée sur l'observation, l'évocation d'hypothèses, l'analyse, l'expérimentation et l'établissement d'une vérité, elle-même relative et critiquable.
Tous les phénomènes naturels, temporels, intemporels, tous les attributs phénoménologiques ou spirituels sont soumis à l'examen critique dans les sociétés vivantes dans un mouvement réflexif sans fin. Autrement dit, l'examen critique ne s'arrête jamais parce que dans les sociétés vivantes, le résultat n'est pas une fin en soi, une conclusion n'est rien d'autre qu'une ouverture sur d'autres questionnements dans un mouvement perpétuel attestant de cette vivacité.
A l'inverse, dans les sociétés à faible sens critique, le mouvement est extrêmement lent, voire inexistant si l'on exclut le mouvement qu'impose la nature entre naissance et extinction. Pour tout ce qui relève de la vie de la Cité et de son organisation, l'absence de sens critique atteste de la mort lente des sociétés et d'aucuns diront l'absence de sens dans cette vie.
Que se passe-t-il dans les sociétés vivantes ?
Si l'on se limite à la période allant de la Renaissance à nos jours, on observe que le sens critique a évolué de manière erratique, mais néanmoins constante sur le temps long.
En dépit de la richesse de l'héritage critique grec, la pensée unique et figée, voire sacralisée avait été imposée par le pouvoir religieux dans l'espace géographique chrétien où le sens critique était perçu comme une abomination du diable, et toute lecture du monde hors du cadre institutionnel religieux était passible des pires sanctions. Un état de fait, parfaitement démontré dans le chef-d'œuvre d'Umberto Eco, Il Nome della Rosa. Signe extrême de la haine du corps et donc de la vie, le rire, les livres et l'amour sont combattus pour que règnent le nihilisme et la négation de soi et du monde.
L'Europe médiévale n'a pu effectuer le changement paradigmatique vers un nouveau modèle qu'une fois le processus de désacralisation entamé dans toutes les sphères de la vie de la Cité. Les chaînes étaient brisées au prix de la vie d'Erasme, de Galilée et de Copernic, chacun dans son domaine d'intérêt mais tous munis du même outil qui était le sens critique. Ne rien prendre pour argent comptant, tout soumettre à l'examen critique, au crible de la raison et de la démonstration empirique. C'était le début d'une ère nouvelle, celle de la liberté de pensée et la liberté de conscience. Les chaînes du sacré étant brisées, le monde s'offrait à tous pour devenir un champ à explorer et à labourer pour y faire pousser les germes d'un nouveau monde où l'Homme occupe le centre, où la conception mortifère de la vie était remplacée progressivement par une conception joyeuse et hédoniste. C'est à coup de transgression, de franchissement des limites prescrites, de sacrifices humains, de volonté obstinée à aller voir par-dessus les barrières, que le changement a pu voir le jour et les progrès humains ont pu se réaliser. C'est cet héritage humain accumulé à travers les siècles qui a permis au monde occidental, de jouir de ses libertés, d'enregistrer des progrès fulgurants dans tous les domaines qu'ils soient de nature matérielle ou intellectuelle. L'équation est simple : plus le sens critique est aigu, plus les libertés s'affirment et plus l'Homme se surpasse et découvre qu'il recèle des capacités insoupçonnées. On est passé de la soustraction à la multiplication, de l'unique au divers, du fini à l'infini.

Comment dilapider un héritage ?
Si l'on prend une cartographie du monde tel qu'il se présente aujourd'hui, nous pouvons dire que les sociétés dites à fort sens critique, vivent une érosion de ce sens sous les coups de boutoir de l'ingénierie sociale, de l'intérêt économique, de la désinformation, de la manipulation et de l'abrutissement à une échelle sans précédent.
Au lieu de contraindre les populations par l'emploi de la force et la peur, il est plus subtil d'assécher la source qui alimente le sens critique et le remplacer par une servitude volontaire. Système éducatif orienté et utilitariste, industrie des loisirs (entertainment), prédominance du futile, technologie addictive, matérialisme exacerbé, valeurs inversées, tout le système concourt à créer « l'Homme nouveau ». Un Homme sans accès à la source qui alimente le sens critique, et donc sans conditions nécessaires à l'exercice de ses libertés.
On songe au roman de Salman Rushdie Haroun and the Sea of Stories dans lequel, le Chef du Culte, figure suprême de la pensée unique, s'emploie sans répit à empoisonner la mer des histoires pour que les Hommes ne puissent plus y trouver la source de leurs inspirations. C'est ainsi, que les voix sont étouffées et les lectures du monde sont remplacées par une seule lecture, et les livres disparaissent au profit du seul et unique Livre.
L'érosion du sens critique s'accompagne inéluctablement par l'érosion des libertés et le rétrécissement du champ d'action de l'Homme conduit docilement aux abattoirs pour subir l'ablation du seul « organe » qui compte : sa raison. Malgré le peu de voix qui résistent à cet inéluctable marche vers l'abîme et l'esclavage néolibéral, on assiste à la création de l'Homme creux, vidé de la substance critique qui irriguait jadis sa pensée. Le piège est en train de se refermer et le mouvement est en train de s'inverser, marquant le retour vers le futur où l'on s'accommode docilement de la servitude pourvu qu'on continue à assouvir les différentes addictions dont l'Homme est à présent prisonnier. La boucle est en train d'être bouclée, circulez il n'y a plus rien à penser.

Jonction des deux mondes
Les sociétés à faible sens critique, combattent le questionnement et le doute, érigent le sacré à un tel niveau que toute tentative de remise en question, d'aller voir par-delà les barricades, équivaut à un blasphème voire, une condamnation à mort. La binarité est le constat, la simplification est la méthode et le rétrécissement est l'objectif. Réduire le champ de réflexion, pour réduire la compréhension du monde. Au lieu d'appréhender le monde dans sa complexité et sa diversité, on le sursimplifie selon des marqueurs aussi forts que la langue, la religion et les expressions culturelles. Il n'y a de sens que par opposition et toute opposition est antinomique à l'interaction, au mélange, à l'hybridité, à la créativité et à la nouveauté.
Dans les sociétés à faible sens critique, on ne créé pas, on reproduit, on consomme et on imite. Le passé y est plus important que le futur, la nostalgie est plus réconfortante que l'inconfort du questionnement, du doute et de l'inventivité. On se complait dans la posture des moutons de Panurge, avec un berger qui guide et qui veille à ce que l'organe de la réflexion reste amorphe et ne perturbe pas le processus infini du broutage d'herbe, la tête baissée. Dans les sociétés à faible sens critique, on contraint les peuples par la force et la peur, on s'adresse à leur instinct primaire plutôt qu'à leur raison, on flatte leur affecte, on leur donne l'illusion d'exister, on les enferme dans des oppositions meurtrières. Si pensée il y a, il faut qu'elle soit uniforme, unilatérale, réductrice et simpliste. Plus de place au sens critique, plus de place au divers et aux nuances, Le Maître du culte peut alors prétendre incarner la foule. Antagonisme, incarnation et simplification sont alors les pierres tombales qui scellent le sort des sociétés à faible sens critique.
Erosion d'un côté, contrainte et abrutissement de l'autre, les deux mondes se rejoignent et se télescopent au profit d'un nouvel ordre mondial où le darwinisme social est présenté comme « méritocratie », où les liens distendus sont vendus comme « liberté individuelle », où les valeurs sont des contraintes qu'il faut éliminer, où chaque Homme est une île qui erre sans boussole, dans un océan de mensonges.


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