En recevant les PDG de la Steg et de la Sonede, Kaïs Saïed a laissé entendre qu'il y aurait un complot derrière les récentes coupures d'électricité et d'eau dans certaines régions, concomitamment avec plusieurs pénuries. Qu'en est-il réellement ? Le président de la République, Kaïs Saïed, a reçu mardi 11 juillet 2023, le PDG de la Steg, Hichem Anane, et le PDG de la Sonede, Mosbah Helali, deux entreprises de l'Etat ayant respectivement le monopole de distribution de l'électricité et de l'eau. Le chef de l'Etat a appelé les responsables à travailler à mettre un terme aux coupures continues d'eau potable et d'électricité constatées dans certaines régions le plus vite possible. Il a également indiqué que ces coupures ne peuvent être justifiées par des opérations de maintenance de routine, précisant que ces opérations auraient pu être menées avant l'arrivée de l'été. Le Président a également souligné que les coupures continues ont lieu dans des zones déterminées et durent pendant des jours et des semaines. En plus, elles sont concomitantes avec l'absence de certains produits de base comme le pain, le sucre ou encore les médicaments. On rappelle que plusieurs villes, y compris de grandes villes comme Sfax, font face à ces coupures d'eau et d'électricité provoquant la colère des riverains. Il y a même eu une manifestation à Redayef à cause des incessantes coupures d'eau.
Si l'on lit entre les lignes le communiqué présidentiel, publié mardi à 23h13, on comprend qu'il existerait quelque part un complot ourdi par ces deux entreprises de service public pour couper sciemment l'eau et l'électricité et que les prétextes de maintenance, présentés officiellement, sont fallacieux. Si ce qu'insinue le chef de l'Etat est vrai, il y aurait donc quelqu'un quelque part en train d'empoisonner l'existence des Tunisiens, en plein été et en pleines canicules dans l'objectif de provoquer la colère des citoyens contre l'Etat. Y aurait-il donc un agent de la Steg qui appuierait sur un interrupteur pour couper l'électricité sur certaines régions ? Et un autre de la Sonede qui fermerait le robinet d'eau destinée à d'autres régions ?
Comme souvent, le président de la République fait du populisme. Il convoque les PDG des entreprises publiques pour les sermonner et réduire en miettes leurs prétextes. Concrètement, il les discrédite devant l'opinion publique et s'offre l'image du chef qui sait tout et refuse de croire aux bobards de l'administration. Dès lors, et fort de cette opinion présidentielle, le citoyen lambda en colère ne peut plus croire aux réponses données par les fonctionnaires de ces entreprises. Le chef de l'Etat met, tout simplement, face à face le citoyen et l'administration et risque, sans aucun doute, d'envenimer davantage la situation sur le terrain. En convoquant ensemble les PDG de la Steg et de la Sonede, en l'absence de leurs ministres de tutelle (Industrie et agriculture), Kaïs Saïed donne l'impression que leurs problèmes sont liés. Or ceci est totalement faux. Il n'y a quasiment aucun lien entre les problèmes des deux entreprises, à l'exception de leurs éternels problèmes de moyens matériels dont l'Etat est le premier responsable.
Pour ce qui est de la Sonede, le président de la République gagnerait à se rappeler que la Tunisie vit, en 2023, une exceptionnelle année de sécheresse. C'est ce qu'indiquent les spécialistes. C'est même la quatrième année consécutive de sécheresse, comme l'a rappelé le PDG de la Sonede dans une interview donnée à Midi Show sur Mosaïque FM en mars dernier. Cette exceptionnelle sécheresse a poussé le ministère de l'Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche à annoncer une batterie de décisions et de mesures relatives à la mise en place d'un système de roulement conjoncturel et une interdiction temporelle de certains usages de l'eau, qui prennent effet à partir du 29 mars 2023 jusqu'à fin septembre 2023. Dans son communiqué daté de vendredi 31 mars 2023, le ministère a interdit l'utilisation de l'eau potable, distribuée par la Sonede, pour l'agriculture, l'irrigation de zones vertes, pour le nettoyage des rues et des endroits publics et pour le lavage des véhicules. Le ministère annonce aussi la mise en place d'un système de roulement conjoncturel pour l'approvisionnement en eau potable, pendant cette période. Outre le problème de sécheresse, il y a de gros problèmes de réserves de barrages en baisse de plus de 42% en février dernier, selon l'Observatoire national de l'Agriculture. Des barrages qui souffrent, en sus, de problèmes de nettoyage. En plus de tout cela, et ceci est un problème bien ancien, il y a le fléau de la déperdition de l'eau. Les spécialistes estiment que la Tunisie perd près de 40% de ses eaux à cause notamment des fuites dans les canalisations vétustes et des barrages mal entretenus.
Pour ce qui est de la Steg, le problème des coupures n'a rien de nouveau et n'est pas du tout exclusif à la Tunisie. Chaque année, avec les canicules estivales, il y a un pic de consommation d'électricité à cause des climatiseurs. Les capacités de la Steg étant limitées, il y a donc des coupures. Pour résoudre ce vieux problème, il y a plusieurs pistes de solutions, mais que la Steg ne peut adopter à cause de l'Etat et d'une législation archaïque. Ainsi, par exemple, on refuse encore aux Tunisiens de produire leur propre électricité (avec l'énergie solaire et autre) et vendre le surplus à la Steg. L'absence totale de concurrence fait que la Steg est monopolistique et se trouve seule confrontée aux problèmes de surconsommation. Il y a également le gros problème de moyens matériels. L'électricité est fortement subventionnée en Tunisie et l'Etat refuse que les quartiers huppés paient le prix réel et non subventionné de leur électricité. À tout cela s'ajoute, les impayés de la Steg qui frôlent les trois milliards de dinars représentant 44% de son chiffre d'affaires. L'Etat, les entreprises publiques et les collectivités locales accaparent 44% de ces impayés.
Au lieu de balayer d'un revers les prétextes justifiant les coupures d'eau et d'électricité, Kaïs Saïed aurait dû étudier les dossiers de ces deux entreprises publiques. Il est fort à parier que les deux PDG, et leurs ministres, ont bien expliqué les problématiques au président de la République, mais ceci n'a pas été dit dans le communiqué présidentiel nocturne. Le chef de l'Etat préfère laisser miroiter un quelconque complot devant l'opinion publique plutôt que d'expliquer ce qu'il en est réellement et assumer son rôle de chef de l'Etat. Si le président de la République ne veut plus de coupures d'électricité et d'eau, qu'il donne les moyens de travailler aux deux entreprises, qu'il paie leurs dettes et qu'il ouvre ces secteurs à la concurrence privée, comme cela se fait dans les pays développés.