Il n'est un secret pour personne que le président de la République, Kaïs Saïed, n'est pas familier avec les chiffres. Ses notions d'économie et de finances sont faibles et il lui est même arrivé de s'emmêler les pinceaux entre millions et milliards lors de rencontres officielles. Mais quand l'un des plus gros problèmes du pays est d'ordre financier et économique, on se dit qu'il faudra bien qu'il s'y mette un jour ou l'autre. Ce qui est certain, c'est que ce n'est pas encore le cas aujourd'hui. Le chef de l'Etat, Kaïs Saïed, met un soin particulier à évoquer des sujets financiers et économiques sans s'aventurer à évoquer le moindre chiffre, sans parler de la moindre projection. Hier, Kaïs Saïed a reçu la cheffe du gouvernement Najla Bouden. Selon le communiqué publié à la suite de la rencontre, cette dernière a eu pour objet principal les équilibres financiers de l'Etat. Le texte du communiqué n'a évoqué aucun chiffre relatif à cette question épineuse. Le président s'est contenté de donner de vagues directives concernant la nécessité de compter sur nous-mêmes indiquant que les solutions sont entre nos mains. Il a également ajouté qu'il suffisait d'imaginer de nouveaux mécanismes pour « nous lancer tous ensemble dans la réalisation de la volonté du peuple, pour retrouver la dignité, l'honneur et passer de la frustration et du désespoir à l'espoir et à la sérénité ». Autrement dit, un lyrisme à la limite du kitch complétement inaudible pour toute personne ou institution qui chercherait du concret dans cette politique financière et économique. Que dire donc du FMI ou des institutions financières internationales qui ne comprennent rien à ce discours dépourvu de toute base concrète ni au fait que ce même gouvernement a multiplié, durant les derniers mois, les négociations concernant l'obtention d'un prêt.
Quand il s'agit d'argent, le président de la République n'hésite pas à évoquer des montants faramineux à l'instar des « milliards de milliards » qui auraient été spoliés de Tunisie. Il a mis en place une commission de conciliation pénale en lui donnant pour mission de restituer 13.500 millions de dinars en six mois ! Une tâche irréalisable pour qui conçoit l'énormité du montant. Auparavant, il avait accusé un ancien élu d'avoir subtilisé la somme effarante de 1.500 millions de dinars, ce qui est, encore une fois, totalement impossible. A partir de ce constat, il parait normal que Kaïs Saïed ne comprenne pas grand-chose aux équilibres financiers de l'Etat et qu'il évite soigneusement d'évoquer des chiffres même s'il ne se prive pas de parler de finances. Le fait que les chiffres soient tellement étrangers à la pensée et à la démarche du président de la République lui fait ignorer la nature structurelle de la plupart des problèmes qu'il soulève. Il préfère, le plus souvent, mettre l'échec de l'exécutif à solutionner les problèmes sur le dos d'obscurs comploteurs dont il serait seul connaitre les noms, ou sur des lobbies fantomatiques qui voudraient enflammer la situation sociale. Lors de sa récente visite à l'Office des céréales consécutive à la pénurie de pain constatée dans plusieurs régions, le président n'a pas évoqué la principale raison expliquant cette perturbation de l'approvisionnement : l'office n'a pas les liquidités nécessaires pour le faire. Par ailleurs, personne n'a évoqué le problème principal de cet office qui est l'énormité de sa dette qui se monte à plus 4,7 milliards de dinars auprès de la seule Banque nationale agricole. Toutes ces données sont totalement occultées par le président de la République qui ne voit que des complots partout. Pourtant, force est de constater que les problèmes relatifs, au moins à l'approvisionnement en produits de base, se ressemblent dans leur nature structurelle et financière. Quand le chef de l'Etat s'offusquait du manque de certains médicaments sur le marché, il ne fallait pas le faire devant des caisses d'échantillons gratuits dans une usine tunisienne. Il fallait plutôt examiner le problème des impayés de l'Etat auprès de plusieurs laboratoires pharmaceutiques ce qui a perturbé l'approvisionnement et finit par les conduire à quitter la Tunisie. Les pénuries d'huile subventionnée, de café, de sucre et d'autres produits sont consécutives aux mêmes raisons. Le président de la République semble l'ignorer.
Cette insensibilité aux chiffres et à la chose économique dans son ensemble font commettre des erreurs de jugement conséquentes au président. Par exemple, l'exécutif semble ignorer totalement les conséquences néfastes sur les circuits de distribution du décret publié pour contrer la spéculation et le monopole. Plus grave encore, cette ignorance de la chose financière a fait ratifier au président de la République une loi de finances 2023 portant application de certaines réformes qui font l'objet d'un accord avec le FMI. C'est seulement en avril que le chef de l'Etat semble s'être rendu compte que ces mesures ne sont pas populaires et qu'elles risquent de porter atteinte à la sacrosainte paix civile, sans parler de l'incompréhension que cela a généré chez les partenaires de la Tunisie devant un exécutif qui ne sait pas sur quel pied danser. Le fait de ne rien comprendre à l'économie et aux finances n'est pas une tare en soit. Le vrai problème est de ne pas se l'avouer et de ne pas s'entourer d'experts de calibre surtout que l'économie fait partie des principales préoccupations des Tunisiens. Ce qui est sûr, c'est que les grands problèmes financiers de l'Etat et les problématiques économiques du pays ne se régleront pas à force de discours et d'intentions, aussi pures soient-elles.