La comparution et la condamnation de Seïf Eddine Makhlouf et de Mehdi Zagrouba par le Tribunal militaire ont relancé le débat autour de la réforme du système judiciaire en Tunisie. Une revendication lancée depuis l'avènement de la révolution de 2011, mais qui est restée classée sans suite. Ceci a créé de multiples dépassements et scandales en rapport avec les violations des droits de l'Homme et les menaces pesant sur les droits et les libertés. Retour sur un enjeu de taille qui devrait, pourtant, être l'un des fondements de base de toute démocratie qui se respecte. La réforme du système judiciaire en Tunisie est un enjeu important depuis la révolution de 2011 qui a mis fin à la dictature de Ben Ali. Depuis lors, il y a eu des efforts pour rendre le système judiciaire plus indépendant, plus transparent et plus équitable, notamment en ce qui concerne les procès en justice militaire. C'est dire que cette juridiction est régie par le Code de justice militaire, qui établit des règles spécifiques pour le traitement des personnes accusées de crimes militaires. Les tribunaux militaires sont composés de trois juges militaires, dont un président, et peuvent imposer des peines allant jusqu'à la peine de mort. Les tribunaux militaires sont chargés de juger les crimes commis par des membres des forces armées tunisiennes, tels que la mutinerie, le désertion, la lèse-majesté, la haute trahison et l'espionnage. Ils peuvent également statuer sur des crimes commis par des civils, tels que le meurtre, le vol et la dégradation de biens publics. Le code de justice militaire n'est pas le seul à impliquer des personnes civiles. En effet, conformément à l'article 22 de la loi 70 du 6 août 1982, les infractions impliquant des agents des Forces de Sécurité Intérieure "à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions" ayant "trait à leurs attributions dans les domaines de la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat ou au maintien de l'ordre", sont jugées "devant les tribunaux militaires compétents". De cette manière, en Tunisie, la justice militaire a été utilisée pour réprimer les opposants politiques et maintenir l'ordre public, et a été critiquée pour son manque de transparence et d'équité. Depuis la révolution de 2011, il y a eu des appels à la réforme de la justice militaire et à une plus grande transparence dans les procès. Cependant, aucune partie politique ne s'est engagée dans cette réforme de manière déterminée. De l'assemblée nationale constituante aux deux assemblées qui se sont succédé, aucun des parlements installés après 2011 ne s'est attelé à la réforme de cette loi bien que la majorité parlementaire était parmi le mouvement islamiste ayant souffert d'injustice avant la révolution. C'est dire, qu'une fois au pouvoir, cette loi semblait leur convenir en leur permettant de régler leurs comptes avec certains opposants politiques. Le mouvement Ennahdha avait saisi l'importance de la mainmise sur le pouvoir judiciaire. Et c'est par le biais de Noureddine Bhiri, ministre de la Justice à l'époque que le parti islamiste avait lancé son offensive. Le 28 mai 2012, Noureddine Bhiri a révoqué 82 juges, invoquant la nécessité de mettre un frein à une corruption envahissante. Plus tard, il a rétabli neuf d'entre eux dans leurs fonctions. Cette révocation par le ministre de la Justice a constitué un acte injuste et arbitraire. Ces renvois ont établi un précédent inquiétant et accru la subordination de la justice vis-à-vis du pouvoir exécutif. Ils ont permis au mouvement Ennahdha au pouvoir de mettre la main sur la justice. Toutefois, une dizaine d'années plus tard, le mouvement s'est trouvé de l'autre côté de la rive et dû subir le revers de la médaille de sa politique adoptée. Après avoir pris tous les pouvoirs, le président de la République, Kaïs Saïed, s'est principalement focalisé sur le pouvoir judiciaire. En voulant le réduire à une simple fonction, Kaïs Saïed, a procédé au limogeage de 57 magistrats par décret. Les motifs sur lesquels le chef de l'Etat s'est appuyé pour révoquer ces juges étaient nombreux, et ces motifs comprennent des accusations considérées comme des crimes graves contre la paix et la sécurité nationale. Kaïs Saïed poursuit sa démarche emboîtant le pas à ses prédécesseurs en multipliant les procès visant ses opposants devant les Tribunaux militaires. Au cours des derniers mois seulement, la justice militaire a mené des enquêtes ou engagé des poursuites pour diverses infractions dans au moins dix affaires concernant des civils. Le mouvement s'est, donc, retrouvé parmi les premières parties à rejeter cette approche et à dénoncer ces pratiques répressives menaçant les droits fondamentaux. D'ailleurs l'ancien ministre de la Justice et dirigeant du mouvement Ennahdha, Noureddine Bhiri est revenu sur la révocation de 57 magistrats par le chef de l'Etat, Kaïs Saïed. En revanche, lorsqu'il avait été interrogé à propos de la révocation de 82 magistrats suspectés de corruption en 2012, il a indiqué que ces derniers ont profité pleinement de leur droit de défense devant l'Inspection générale du ministère de la Justice et ont présenté des griefs auprès du tribunal administratif qui a fini par acquitter certains d'entre eux. Il est tout à fait clair que la réforme du système judiciaire est un pas indispensable pour instaurer une démocratie solide et garantir les fondements d'un Etat de droit. Les brèches dont s'est servi Ben Ali se sont retournées contre lui, elles se sont, également, retournées contre le mouvement Ennahdha qui avait évité les réformes. Elles seront, également, utilisées contre toute personne qui ne ferait pas le nécessaire pour garantir une justice équitable.