Dans l'empire saïedien, les têtes des complaisants subordonnés peuvent tomber d'un simple trait de plume, de cette belle encre verte si chère au président. Du haut de la pyramide hiérarchique, jusqu'à sa base, personne n'est assuré de garder sa place en dépit des tonnes de farine déployées ou des efforts fournis. Tous sont sur un siège éjectable, du moment que « Son Augustesse » en a décidé ainsi. Sur un coup de sang ou à la suite d'une campagne facebookienne menées par les fanas kaïsistes, un responsable peut se retrouver, sans même savoir pourquoi, éjecté comme un malpropre. Les plus proches soutiens du chef en font les frais. Ils peuvent s'être transformés en carpette, ils ne recevront que l'ingratitude en bout de chemin. Vendredi soir, à une heure étonnamment pas très tardive, les services de la présidence de la République publient un bref communiqué d'une rencontre entre Kaïs Saïed et sa cheffe du gouvernement. Une petite phrase, tout ce qu'il y a de plus banal, scelle le sort de la ministre du Commerce et du gouverneur de Sfax. Ils sont limogés sur décision du président. Aucun motif n'est avancé. Rien. Le président a jeté ses fidèles subordonnés comme des kleenex. Le pire c'est qu'en ce qui concerne le gouverneur de Sfax, Fakher Fakhfakh, le président ne s'est même pas donné la peine de l'informer avant de rendre la décision publique. Le monsieur a été accidentellement mis au courant par une journaliste qui l'appelait pour un commentaire sur le sujet. Le summum de l'humiliation. La méthode est blessante et irrespectueuse.
Le gouverneur de Sfax aura beau adopter les éléments de langage présidentiels. Il lui aura beau fait les yeux doux en lui demandant, par exemple, de fermer Facebook parce que « les chiens de la casse » tentent de saboter le pays en critiquant, sur les réseaux sociaux, son rendement. Rien n'y fait. La ministre du Commerce aura beau lancer des incursions contre les commerçants de tous bords dans l'optique de mettre fin à la spéculation et au monopole. Elle aura terrorisé et déstabilisé les circuits de distribution pour contenter la fixette du président, mais cela n'a pas suffi. Kaïs Saïed constate que les prix continuent à augmenter et que les pénuries persistent. Il perd patience, se fâche et vire sa ministre sans chercher à comprendre le cœur du problème.
Tous ceux qui auront accepté de travailler à ses côtés se brûleront les ailes. Il leur fera porter le chapeau des échecs de ses visions. La disgrâce leur tombera dessus tôt ou tard. Le président leur fera porter la seule responsabilité de la débâcle parce que, lui, ne peut en être responsable. Tous les despotes agissent pareil. Il oubliera qu'il est, du fait de son décret 117, le seul responsable à bord. Il omettra qu'il lui revient d'orienter les choix fondamentaux de l'Etat et qu'il a nommé en personne tous ces ministres et gouverneurs. Comme tant d'autres avant eux (on se rappellera la fidèle cheffe de cabinet Nadia Akacha jetée en pâture après ses loyaux services), ils n'auront été que des fusibles prêts à sauter. Ils auront le déshonneur d'avoir été des rouages d'un régime putschiste et celui d'avoir servi un despote en herbe. Ce déshonneur sera doublé d'un limogeage humiliant. Tous ceux qui l'entourent peuvent être certains qu'ils sont en obsolescence programmée. Ils endosseront tous les torts et le grand chef se départira ainsi de toute responsabilité. La ministre du Commerce ou le gouverneur de Sfax ne seront pas les derniers de la liste. La situation économique continuera de s'aggraver dans le pays et le président de la République s'entêtera encore à en accuser spéculateurs et comploteurs et par truchement à accuser ses subordonnés d'avoir failli. Kaïs Saïed pourra limoger tout le monde, rien ne changera. Mais ce sera bien fait pour les personnes qui ont accepté de participer à la cavalcade. Aux suivants !